Faits : La société Ruckfield – société du célèbre rugbyman barbu Sébastien CHABAL – fabrique et commercialise des vêtements à l’esprit « rugby ». Pour ce faire, cette dernière s’appuie sur un agent commercial – société Up Two Up – lui-même secondé par des sous-agents dont Monsieur R. Souhaitant réorganiser ses relations commerciales et contractuelles le mandant : rompt le contrat d’agent commercial principal et transige sur le montant des commissions et de l’indemnité ; conclut directement un contrat d’agent avec M.R libéré de son contrat initial. Après plus de trois ans de relation, le mandant rompt ce dernier contrat pour faute grave considérant le caractère injurieux d’un courrier électronique au sein duquel l’agent critique vertement l’attitude d’une responsable et la politique commerciale du mandant. M. R saisit le tribunal compétent pour obtenir réparation ; le mandant appelle de son côté en garantie l’agent d’origine, Up Two Up. Problème 1 - Le mandant pour justifier la rupture du contrat se fonde sur une clause définissant les comportements qualifiés de faute grave dont les propos injurieux, propos qui ressortiraient du courriel. L’agent considère quant à lui que cette clause doit être réputée non écrite car contraire aux dispositions d’ordre public de l'article L134-12 du code de commerce relatives au droit à indemnité. Solution - La Cour, tout comme le Tribunal de Commerce, examine les termes mêmes de cette clause : « les comportements suivants sont notamment susceptibles de constituer une faute grave de l'agent commercial : propos injurieux à l'encontre du mandant ou de l'un de ses collaborateurs ». Et la Cour d’en conclure que l’emploi du terme « susceptible de » traduit une absence d’automaticité dans la définition de la faute grave et laisse au juge toute liberté d'appréciation quant à la gravité du comportement reproché à l'agent commercial. C’est donc la faute elle-même qui est analysée au-delà même de la présence et du contenu de la clause, en elle-même opposable. Pour le mandant ce courriel traduisait une attaque ciblée et gratuite à l'encontre d'une personne non décisionnaire ; gravité confirmée au regard des termes employés (« blaireaux ») et de la publicité donnée à cet envoi adressé en copie au dirigeant et à divers salariés. La Cour, tout en relevant qu’il s’agissait d’un message « au ton effectivement inutilement désagréable et provocateur », écarte ce raisonnement. Celle-ci considère en effet qu’aucune injure n’avait été proférée, le terme outrageant « blaireaux » renvoyant au mépris de la responsable vis-à-vis des agents. Par ailleurs, la destinataire même non décisionnaire était en charge du règlement des commissions, point de crispation avec l’agent. En outre, il s’agissait pour l’agent de faire part de ses désaccords sur la politique commerciale du mandant. Surtout, la Cour constate que la loyauté de l’agent n’est pas contestée et que ses résultats ont toujours été excellents. Ce faisant, « l'emploi d'un ton trop vif et emporté dans la rédaction de certains de ses courriers électroniques » ne saurait caractériser une faute suffisamment grave exclusive de l’indemnité. Observation - L’on sait que la faute grave – qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d’intérêt commun et rend impossible son maintien – est appréciée de façon restrictive par les tribunaux dès lors qu’elle prive l’agent de l’indemnité. Il est donc tentant pour les mandats de prévoir une clause définissant largement et automatiquement ces fautes graves. Dans cette hypothèse, la jurisprudence constante écarte – au regard de l’ordre public précité – l’automaticité de la qualification (pour exemple : non-atteinte des objectifs contractuels Cass. Com 28/05/2002 n°00-16.857 ; CA Aix-en-Provence 16/05/2019 n°16/15883 ; CA Paris n°). Le juge ne saurait donc être amputé de son pouvoir d’appréciation et de qualification de la faute. En revanche, la décision ici commenté nous rappelle l’utilité pratique de précisions conventionnelles relatives au contenu ainsi qu’à l’intensité des obligations à la charge de l’agent. L’objectif est en effet d’orienter ce travail judiciaire – sans le contraindre – à la lumière de la commune intention des parties. Orientation contractuelle efficace pour des obligations inhérentes et expressément prévues par le statut (telle l’obligation de loyauté : les décisions optent ainsi pour le double fondement légal et contractuel pour justifier de la gravité de la faute : CA Aix-en-Privence 24/01/2008 n° 06/09508) ; orientation indispensable pour des obligations qui découlent d’une obligation légale mais dont le contenu reste flou.La faute grave écartée, le mandant est condamné au règlement de l’indemnité de fin de contrat. Un point pratique peut être à ce titre relevé. Une clause prévoyait en effet les modalités de calcul de l’éventuelle indemnité et « écartait de l'assiette des commissions sur lesquelles pourrait être éventuellement calculée une indemnité de rupture due à l'agent commercial toutes les commissions que M. R avait pu ou aurait dû percevoir de la société Up Two Up ». Cette clause est validée par la Cour en application du principe de l'effet relatif des contrats. Autrement dit, l’agent ne pourrait pas solliciter le règlement de l’indemnité calculée pour partie sur la base de commissions obtenues alors qu’il était sous-agent. Le sous-agent dispose toutefois d’une action directe contre le mandant (réciprocité de l’action offerte au mandant par l’article 1194 al 2 du code civil ; Cass.com 28/05/2002 n°98-22.566, CA Paris 26/03/2015 n° 14/06339). C’est certainement en distinguant au sein de ses demandes celles qui ont trait au contrat d’agent conclu avec le mandant de celles afférentes à l’action directe au bénéfice des sous-agents que Up Two Up aurait pu obtenir gain de cause et contourner cet obstacle apparent. Dans cette hypothèse, le mandant aurait-il pu opposer au sous-agent les paiements déjà effectués au profit de l’agent ? Problème 2 - Le mandant espérait néanmoins que ces condamnations soient prise en charge par Up Two Up – agent d’origine – au titre du protocole transactionnel conclu et des montants substantiels réglés. L’opposabilité du protocole transactionnel posait donc question. Solution - Le mandant sollicite tout d’abord, sur ce fondement, le remboursement d’une partie de l’indemnité de fin de contrat considérant qu’elle était destinée pour partie à l’agent principal et pour une autre partie au sous-agent M.R. La Cour d’Appel, suivant en cela le Tribunal, considère au contraire que cette demande se heurte à l'autorité de chose jugée attachée à l’accord transactionnel. La Cour relevant par ailleurs que rien dans l’acte ne précisait que l'indemnité de rupture englobait des sommes qui devaient être reversées à ses sous-agents commerciaux. Up Two Up s’était en outre engagée à garantir le mandant de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre au profit de M. R. Le mandant faisait donc valoir cette garantie. Là aussi l’argument est rejeté dès lors que la garantie concernait les seuls recours qui viendraient à être exercés par les sous-agents à l'encontre de la société Ruckfield. Or, les demandes de M. R concernaient ses relations actuelles avec cette dernière et non la période où il était sous-agent. Observation - La décision ne nous éclaire pas précisément sur les demandes que M. R a formées et qui pourraient être assises pour partie sur des sommes perçues en sa qualité de sous-agent. Néanmoins, cette décision doit inciter le mandant qui réorganise son réseau, transige voire conclut des nouveaux contrats avec d’anciens agents ou sous-agents à être vigilant quant à la traçabilité des relations, des commissions et indemnités versées. Le mandant aurait pu notamment en l’espèce prévoir : au sein du protocole des dispositions dédiées au dédommagement des sous-agents ; au sein du nouveau contrat proposé à l’ancien sous-agent des dispositions relatives à sa situation passée et au dédommagement déjà obtenu à cet effet de son mandant précédent (agent principal).