L’Autorité de la Concurrence, saisie par la société BOUYGUES, avait condamné pour abus de position dominante (articles L420-2 du Code de Commerce et 102 du TFUE) sur le marché de gros de la terminaison d'appel sur leur réseau mobile, les sociétés Orange France, France Télécom et SFR (respectivement 117 419 000 € et 65 708 000 €) pour avoir commercialisé, à partir de 2005 et pendant trois ans, des offres d'abonnement de téléphonie mobile dites "on net illimité" ou encore "offres d'abondance on net", permettant d'appeler les clients d'un même opérateur pour un prix forfaitaire indépendant du nombre et de la durée des appels, dans la limite de trois numéros ou dans un créneau horaire déterminé et, ce faisant, pour avoir mis en œuvre « une pratique de différenciation tarifaire abusiveentre les appels «on net » (sur le réseau) et « off net » (sur le réseau concurrent) (décision n° 12-D-24 du 13 décembre 2012). Pour rappel, les pratiques de différenciation tarifaire consistent pour un opérateur en position dominante à appliquer à des produits ou services identiques ou comparables des tarifs différents sans justification objective telle que des écarts de coûts. En l’espèce, ces pratiques pouvaient porter atteinte à la concurrence « par un effet de club » au détriment des plus petits opérateurs puisque la souscription incitait l’abonné à recommander à ses proches d’adopter le même opérateur et une fois les proches regroupés auprès du même opérateur, les coûts de sortie de l’offre rendaient plus difficile la migration des clients vers un concurrent. L’effet anticoncurrentiel était encore renforcé par l’effet incitatif consistant pour le client final à privilégier l’opérateur qui dispose des parts de marché les plus importantes pour maximiser les chances que ses interlocuteurs soient abonnés auprès du même opérateur. Ainsi, Bouygues Telecom, saisissante et victime de la pratique, disposant au moment des faits de 17 % de parts de marché, s’était vu contrainte à proposer une offre « cross net » offrant les appels illimités tous réseaux confondus, ayant pour effet d’augmenter drastiquement ses charges tous réseaux confondus.
Le caractère novateur de la pratique a conduit la Cour d’appel à interroger la Commission sur le fondement de l’article 15.1 du Règlement n° 1/2003. Dans son avis en date du 8 décembre 2014, la Commission avait relevé qu'il était possible d'identifier une différenciation tarifaire, alors même qu'aucune différence de prix par minute entre les appels «on net» et les appels «off net» ne figurait sur la facture. S’agissant de la méthode de calcul utilisé par l’Autorité, très complexe, elle a fait valoir que cette méthode « visait correctement à traduire en termes monétaires la différence entre le prix des communications «on net» et «off net», du fait de la présence d'avantages qui ne sont pas, eux, définis en termes monétaires (appels illimités), dans un contexte où les offres sont forfaitaires et couvrent tous les types d'appels ». Enfin, s'agissant de la question de savoir si les écarts de coût étaient susceptibles de justifier les écarts de prix, elle a indiqué que s'il était démontré que « les écarts de prix entre les appels «on net» et ceux «off net» excèdent plus de six fois les écarts de coût, ils sont en soi suffisamment importants pour fonder la conclusion de l'existence d'un traitement différencié non objectivement justifié au sens de l'article 102 TFUE ».
A l’aune de cet avis la décision de l’Autorité précitée, est validée par la Cour d’Appel de Paris qui toutefois, réduit le montant des sanctions de 20% afin de prendre en considération « les circonstances, et leurs effets en terme de prévisibilité pour les opérateurs », la pratique étant novatrice, l’analyse concurrentielle en résultant n’étant pas prévisible. En premier lieu, l’argument selon lequel le test du ciseau tarifaire [consistant à déterminer si l'opérateur qui se dit victime d'une pratique abusive est en mesure de produire une offre au moins aussi attractive que celle de l'opérateur dominant, compte tenu des coûts que représente l'accès au produit ou au service fourni par ce dernier] aurait dû être appliqué est rejeté dans la mesure où « une telle approche ne permettait pas d'appréhender la totalité des répercussions que la pratique en cause était susceptible d'entraîner sur le marché et, notamment, l'effet de regroupement des clients, désigné sous le terme d'« effet de tribu », ainsi que les effets statistiques ». En second lieu, les services « on net » et « off net » sont jugés comparables dès lors que pour le consommateur l’appel d’un correspondant constitue un service identique quel que soit le réseau auquel ce correspondant est abonné et qu’en tout état de cause la différence tenant à la terminaison d'appel ne rend pas les deux prestations non comparables. Pour la Cour, l’Autorité a justement relevé que la différence de coût entre un appel «on net» et un appel off net correspondait « à la différence entre les terminaisons d'appel des deux opérateurs concernés » et que, sur cette base, les écarts de prix, calculé sur le tarif du forfait dans son ensemble, entre les appels «on net» et les appels «off net» excédaient plus de six fois les écarts de coût. Enfin, la Cour valide l’analyse de l’Autorité tenant aux effets anticoncurrentiels potentiels de la pratique : renforcement des effets de club, effets sur la fluidité du marché et affaiblissement de la structure de la concurrence.
A la différence de la pratique visant à proposer des prix bas à certains clients d’un concurrent pour l’évincer (pour illustration CJUE, Post Danmark du 27 mars 2012 ; C-209/10), il est ici reproché aux opérateurs d’avoir proposé des offres sur les appels «on net» de leurs abonnés. Le caractère inédit de cette pratique a été considéré à tous les stades de la procédure : il a justifié la mise en place d’un test économique complexe par l’Autorité et la diminution limitée des sanctions pécuniaires par la Cour d’Appel de Paris, les opérateurs ayant bénéficié d’une circonstance atténuante liée aux effets anticoncurrentiels complexes de cette pratique.