Sous le feu de l’actualité économique suite à son introduction en bourse, la Française Des Jeux (FDJ) participe, via de nombreuses décisions récentes dont celle sous commentaire, à l’actualité juridique relative à la rupture du contrat de mandat d’intérêt commun. Le réseau de distribution de la FDJ est en effet constitué de « courtiers mandataires » dont la jurisprudence a très tôt considéré qu’ils devaient être qualifiés de contrat de mandat d’intérêt commun dont le mandataire pouvait bénéficier d’une indemnité de fin de contrat en cas de révocation du mandat sans motif légitime (Cass.1ère Civ 2/12/1997 n°95/15-015). Souhaitant réorganiser son réseau courant 2012, la FDJ a résilié chacun des contrats en cours en versant une indemnité fixée contractuellement à 1,65 fois le montant des commissions de l’année précédente (montant inférieur aux deux années de commissions généralement attribuées par les tribunaux mais plus intéressant que l’exclusion contractuelle possible de toute indemnité) et a proposé de nouveaux contrats à ces intermédiaires. Dans la décision sous référence, pour dénoncer cette relation, la FDJ s’est fondée sur l’âge du courtier – 66 ans ; âge caractérisant un terme aux relations (« Un contrat peut-il être à la fois d’une durée déterminée et d’une durée indéterminée ? » Ph. Delbecque, Defrénois 15/03/1998). Le courtier a pendant la durée du préavis, comme le contrat le lui permettait, soumis à son mandant des candidats cessionnaires susceptibles de reprendre le secteur. Pour ce faire, le courtier devait respecter certaines obligations : envoi par lettre recommandée de renseignements concernant le candidat, prix proposé, modalités de financement, etc. Candidats qui pour être agréés devaient respecter les principes de la politique commerciale de FDJ : simplification de l’organisation commerciale du fait de la cession, priorité donnée aux courtiers du réseau, resectorisation géographique notamment. De son côté, après trois refus successifs, la FDJ s’engageait soit à désigner elle-même un cessionnaire au courtier soit, si cette solution s’avérait impossible, à lui verser l’indemnité contractuellement prévue. Les litiges récemment tranchés par la Cour d’Appel de Versailles, dont l’arrêt sous référence, concernent précisément la question de savoir si la cession pouvait avoir lieu et a été empêchée par la FDJ (position des mandataires) ou si cette dernière s’avérait impossible (position de FDJ). L’enjeu de la réponse n’est pas neutre : dans le premier cas, le gain manqué pour cette cession empêchée doit être réparé ; dans le second, l’indemnité contractuelle de rupture s’applique. Au cas d’espèce, avant même d’examiner les candidatures soumises par le courtier, la Cour d’Appel relève que ces propositions devaient être « débattues entre la FDJ et le GIE concerné et font également l’objet d’un examen en comité commercial ». Autrement dit, même si la FDJ n’avait pas d’obligation de se concerter et de trouver une solution, elle devait en débattre « afin de veiller à l’équité entre courtiers ». Et la Cour d’en conclure qu’ « en ne respectant pas les principes qu’elle avait elle-même établis, la FDJ a commis une faute ». Il sera relevé que cette faute caractérisée pour la 13ème chambre (voir dans le même sens CA Versailles 26/11/19 n°18/03-394) a été écartée deux jours plus tard par la 12ème chambre dans une affaire identique dès lors que le mandataire n’apportait pas la preuve de cette rupture d’égalité (CA Versailles 28/11/19 n°18/06-392). Concernant plus précisément les candidatures soumises, deux sont écartées au motif qu’elles ne respectaient pas la procédure contractuelle, ce que la Cour confirme. Quant à la troisième, la FDJ considérait notamment qu’elle ne respectait pas les principes de resectorisation contractuellement prévus. La Cour rejette cet argument. La compatibilité de ce candidat avec ces principes est jugée établie dès lors que : le cessionnaire faisait déjà partie du réseau ; la gestion d’un secteur composé de trois départements visait à simplifier l’organisation commerciale. La FDJ étant d’autant moins crédible à soutenir le contraire qu’elle avait elle-même proposé à ce courtier d’étendre son secteur sur celui de la société cédante…Il s’agit donc pour la Cour d’un comportement fautif qui doit être sanctionné. Il sera relevé que ce refus d’agrément, analysé au cas par cas par les tribunaux, est parfois justifié : candidat aux secteurs limitrophes ; courtier cessionnaire hors réseau, manque de renseignements relatifs aux modalités de financement (CA Versailles ch.12, 27/09/16 ; CA Versailles 26/11/19 n°18/03-402). En tout état de cause, quand bien même la FDJ parvient à justifier ces refus - ce qui n’est pas le cas en l’espèce – celle-ci doit démontrer qu’elle a été dans l’impossibilité de désigner un cessionnaire. Or, tel n’est pas le cas lorsque : cette impossibilité résulte de sa décision unilatérale de modifier sa politique commerciale et de privilégier la conclusion de nouveaux contrats de prestation de services au détriment des contrats de « courtiers mandataires » (CA Versailles 26/11/19, n°18/03-402 ; 28/11/19 n°187/06-392, Cass.Com 22/11/17 n°16/25-079). Afin de limiter les effets de ses fautes la FDJ faisait valoir que le préjudice du mandataire devait s’analyser en une perte de chance, à savoir « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable ». Or, selon cette dernière, aucun préjudice n’a été subi dès lors que les trois candidats ont été légitimement écartés et qu’il n’était pas certain qu’elle aurait trouvé un cessionnaire qui aurait nécessairement acquis. Toute perte de chance était donc selon elle exclue. Relevons que, ce faisant, la FDJ proposait une interprétation restrictive de la perte de chance là où les décisions récentes accueillent le droit à réparation, même lorsque la chance est minime (Cass.1ère Civ 12/10/16 n°15/23-230 ; 14/12/16 n°16/12-686). L’analyse de ce préjudice doit de même être effectuée peu important que les courtiers cessionnaires potentiels aient marqué leur intérêt pour un autre secteur dès lors que cette acquisition n’était pas « sans espoir » (Cass.Com 20/11/19 n°18/16-052). Poursuivant sa logique, le mandant en concluait donc que, l’indemnité contractuelle destinée à pallier cette impossibilité de cession, devait s’appliquer. Considérant que la FDJ a abusivement refusé d’agréer les candidats, la Cour d’appel écarte cette analyse au profit de la réparation du gain manqué. Ce refus avait en effet privé le courtier du prix de cession proposé par le cessionnaire. Ce gain manqué est ainsi déterminé sur la base des offres d’achat formulées par les candidats repreneurs à la même époque. Le courtier doit donc obtenir réparation de son entier préjudice ; l’indemnité contractuelle ne saurait le limiter (ici 580.000 € de plus que les 1,4 millions d’euros versés à titre d’indemnité contractuelle sont obtenus par le courtier). L’analyse du préjudice en une perte de chance aurait pu néanmoins être retenue si les candidats présentés avaient été licitement refusés et si la FDJ n’avait pas procédé à la désignation d’un cessionnaire (indemnisation retenue affectée d’une décote de 70% : CA Versailles 26/11/19 n°18/03-402 ; 28/11/19 n°18/06-392).
Aymeric LOUVET