Faits
Une société tchèque faisant office d’intermédiaire indépendant pour l’achat à l’étranger de véhicules automobiles des marques Subaru et Daihatsu, pour le compte de client finaux en république tchèque, avait déposé deux plaintes consécutives à l’encontre du constructeur Subaru sur le fondement des articles 101 et 102 du TFUE.
La première plainte avait été déposée auprès de l’autorité de concurrence tchèque. Elle portait sur trois pratiques : le refus par le constructeur d’accepter la requérante dans son réseau de distributeurs agréés, d’accorder son service de garantie prolongée aux clients ayant acheté leur véhicule par l’intermédiaire de la requérante et de livrer à la requérante des pièces de rechange pour les véhicules de la marque et lui fournir des informations techniques nécessaires à la vente et au service après-vente de ces véhicules.
La seconde plainte avait été déposée auprès de la Commission et portait sur cinq pratiques, dont les trois susvisées.
L’autorité de concurrence tchèque rejette la plainte par une lettre adressée à la requérante, estimant que les informations dont elle disposait ne lui permettaient pas de conclure à l’existence d’une infraction au droit de la concurrence tchèque, ni à celui de l’Union.
Après plusieurs échanges entre les parties, la Commission adopte une décision finale rejetant la seconde plainte, considérant notamment que trois pratiques avaient déjà été « traitées par une autre autorité de concurrence » en application de l’article 13, § 2 du Règlement n° 1/2003.
La requérante forme un recours en annulation de la décision rendue par la Commission devant le Tribunal.
Problème
Le « traitement » d’une plainte par une autorité de concurrence au sens de l’article 13, § 2 du Règlement n° 1/2003, s’entend-il par l’adoption d’une décision par l’autorité concernée ?
Solution
Le Tribunal considère en substance que (§48) : « il apparaît que l’expression « plainte [...] qui a déjà été traitée par une autre autorité de concurrence » mentionnée à l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 a une large portée en ce qu’elle est de nature à englober tous les cas de plaintes ayant été examinées par une autre autorité de concurrence au regard des règles du droit de la concurrence de l’Union, quelle qu’en ait été l’issue. Le législateur a ainsi fait le choix de ne pas limiter le champ d’application de cet article aux seuls cas de plaintes ayant déjà fait l’objet d’une décision d’une autre autorité de concurrence. Il apparaît en effet que ce qui importe n’est pas l’issue de l’examen de la plainte par ladite autorité de concurrence, mais le fait qu’elle ait été examinée par cette dernière. En d’autres termes, l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 prévoit uniquement que la plainte doit avoir été traitée par une autre autorité de concurrence, et non qu’elle ait nécessairement fait l’objet d’une décision.»
Analyse
Cet arrêt contribue à préciser l’articulation des compétences entre la Commission et les autorités nationales de concurrence (les « ANC »). Le Règlement n° 1/2003 organisant la décentralisation du traitement des pratiques anticoncurrentielles au sein du réseau européen de concurrence (REC), n’a pas établi de principe de compétence exclusive, mais de compétence parallèle entre les ANC et la Commission, sous réserve du pouvoir de dessaisissement de la Commission. Ainsi, l’instruction d’une plainte par plusieurs ANC, pour des pratiques identiques, est possible au regard du principe de coopération au sein du REC, sous réserve de quelques règles permettent de limiter certains conflits positifs en cas de saisines parallèles. Le préambule du règlement précisant à cet égard que « l’objectif étant que chaque affaire ne soit traitée que par une seule autorité ». L’article 13 du règlement n° 1/2003 prévoit ainsi que la Commission ou une ANC « peut rejeter » une plainte au motif qu’une ANC l’a déjà traitée (art. 13, § 2) ou est en train de le faire (art. 13, § 1).
Le préalable à l’application de l’article 13 est bien entendu l’identité des pratiques faisant l’objet de la plainte. Mais ce point ne faisait pas dans cette affaire l’objet de contestation. La question était de savoir si le « traitement de la plainte » requérait l’adoption par l’ANC concernée d’une décision susceptible d’un recours juridictionnel. Selon le § 20 de la Communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (Journal officiel n° C 101 du 27/04/2004 p. 0043 - 0053) : « Dans l'article 13, l'expression "traite l'affaire" ne signifie pas simplement qu'une autre autorité a été saisie de la plainte, mais qu'elle enquête ou a enquêté sur l'affaire pour son compte ».
Le Tribunal, confirmant ici sa jurisprudence passée (Trib. UE, 17 déc. 2014, Si.mobil c/ Commission, aff. T-201/11, EU:T:2014:1096 ; 21 janv. 2015, easyJet Airline c/ Commission, aff. T-355/13) opte pour une interprétation large de la notion de « traitement » de la plainte, et n’impose pas que l’ANC concernée ait rendue une décision sur l’affaire. Des actes d’enquête suffisent à qualifier le « traitement » de la plainte.
Cette position est conforme à la finalité du Règlement n° 1/2003 qui tend à l’allocation optimale des ressources entre les différentes ANC. L’inverse contraindrait la Commission a instruire toutes les plaintes ayant fait l’objet d’un rejet par une autre ANC.
Il demeure que l’application de l’article 13, § 2 demeure une faculté pour la Commission, qui peut poursuivre l’instruction d’une plainte rejetée par une autre ANC. L’application du principe « ne bis in idem » étant inopposable à la Commission lorsqu’elle intervient après une autorité nationale clôturant une enquête sans constater d’infraction (cf. Trib. UE, 17 déc. 2014, Si.mobil c/ Commission, aff. T-201/11, EU:T:2014:1096 ; 21 janv. 2015, easyJet Airline c/ Commission, aff. T-355/13 ).