Réitération des pratiques anticoncurrentielles au sein d’un groupe et conséquences sur la sanction
Cass. com. 6 janvier 2015, pourvois n° 13-21305, 13-22477
Dans l’affaire concernant les pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe et France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, la Cour de cassation statuant sur renvoi après cassation, a rejeté les pourvois formés contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 4 juillet 2013.
Le premier moyen du pourvoi concernait la question de l’imputabilité des pratiques d’Orange Caraïbe à sa société mère, Orange/France Telecom, détenant exclusivement ou quasi-exclusivement son capital. L’enjeu était de taille pour les entreprises en cause puisque la Cour d’appel avait à juger de l’application des règles relatives à la réitération des sanctions, ces dernières suivant celles de l’imputabilité des pratiques. Ainsi, la condamnation préalable d’une entreprise du groupe impliquait l’application de cette circonstance aggravante à tout le groupe. La Cour de cassation valide l’arrêt d’appel qui rappelle en premier lieu la solution jurisprudentielle établie dans l’ordre juridique de l’Union depuis 1983 (CJCE AEG Telefunken/Commission, 25 oct. 1983, 107/82 , Rec. P.3151) selon laquelle : « Il existe une présomption réfragable qu’une filiale dont le capital est détenu en totalité ou quasi-totalité par sa société mère ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché et forme avec sa société mère une entreprise au sens du droit communautaire de la concurrence, qui justifie que cette dernière soit tenue solidairement au paiement de l’amende infligée à la filiale, à moins que la société-mère n’apporte des éléments, relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques l’unissant à sa filiale, démontrant qu’elles ne constituent pas une entité économique unique ».
Et sur ce fondement, rejette l’argument selon lequel l’autonomie d’Orange Caraïbe reposerait sur les spécificités du marché local requérant que sa stratégie commerciale soit décidée en toute indépendance, considérant que cette marge de manœuvre ne dépassait pas ce qu’« induit le dépassement géographique » dans la mesure où « son équipe dirigeante est formée de personnels de la société mère, que son conseil d’administration est composé, pour la quasi-totalité de ses membres, par du personnel ayant travaillé ou travaillant toujours, en 2010, à des postes stratégiques pour celle-ci, que certaines pièces du dossier démentent l’autonomie alléguée, telles le fait que ces deux sociétés se présentent auprès des clients et partenaires comme un groupe lors de certaines propositions commerciales, articulent ensemble leurs services de téléphonie mobile et de communications électroniques fixes et que la société mère intervient activement dans la promotion et la diffusion des produits de sa filiale ».
La Cour de cassation confirme, à propos de la réitération, que la qualification de la réitération n’exige pas que les infractions commises soient identiques quant à la pratique mise en œuvre ou quant au marché concerné, qu’il s’agisse du marché de produits ou services ou du marché géographique, et qu’elle peut être retenue pour de nouvelles pratiques identiques ou similaires, par leur objet ou leurs effets, à celles ayant donné lieu au précédent constat d’infraction. Ainsi, la Cour d’appel de Paris a pu considérer à bon droit, après avoir retenu que la société́ France Telecom et sa filiale formaient une entreprise et relevé́ que les cinq décisions considérées, s’échelonnant entre juillet 1997 et novembre 2005, ont toutes sanctionné des comportements de la société́ France Telecom qui, comme en l’espèce, tendaient à empêcher, à entraver ou à freiner l’entrée de nouveaux concurrents sur un marché́, de nature à rendre artificiellement plus difficile l’exercice d’une pression concurrentielle de nouveaux opérateurs sur des marchés directement ou indirectement dominés par elle, que cela caractérisait la propension de l’entreprise à s’affranchir des règles de la concurrence en réitérant des infractions de même type. En conséquence une majoration de 50 % de la sanction des pratiques en cause a été retenue par la Cour d’appel.
Karine BIANCONE