Rémunération forfaitaire journalière, remboursement de frais et rapports d’activité : obligations contraires au statut d’agent commercial ?
CA Pau 23/12/2021 n°20/00867, SAS Alibon et SAS Promatel / M. X
Contexte : Un grossiste en médicaments vétérinaires et un distributeur de produits destinés à l’alimentation animale se concertent, proposent et concluent deux contrats identiques avec un agent commercial. En contrepartie de sa mission (visites clients, prise de commandes notamment), l’agent devait percevoir une rémunération forfaitaire fixe de 100€ HT par jour effectif de travail. Il était de même prévu que ses frais d’hébergement, de déplacement et de restauration lui seraient remboursés intégralement. Après trois ans de relations, l’agent - par l’intermédiaire de son conseil - rompt les contrats aux torts exclusifs des mandants et saisit le Tribunal de Commerce de Pau pour obtenir paiement de l’indemnité. Problématique : Afin de justifier ses demandes, l’agent soutenait que la rémunération forfaitaire fixe par jour travaillé et la prise en charge de ses frais professionnels aboutissait à un contrôle quotidien de son activité, incompatible avec sa liberté d’organisation. Modalités de rémunération associées à des demandes de rapport de visites hebdomadaire. En imposant ce type d’obligations contraires au statut d’agent commercial, les mandants seraient fautifs et devraient régler l’indemnité. Solution : La Cour d’appel rejette ces demandes. Pour ce faire, cette dernière précise d’abord qu’ « un forfait journalier tel que celui prévu par les deux contrats dénoncés, prenant en compte les diverses tâches incombant à l'agent, n'est pas contraire aux dispositions d'ordre public du statut d'agent commercial, à partir du moment où il n'en résulte pas pour celui-ci l'obligation de s'astreindre à un démarchage quotidien de la clientèle de son secteur, ce qui reviendrait, dans ce cas, à lui imposer une organisation de son activité contraire au principe d'indépendance qui le distingue du représentant salarié ». De même, le remboursement des frais professionnels ne porte pas, en lui-même, atteinte à l’indépendance de l’agent mais constitue un élément de sa rémunération librement négocié. Enfin, les comptes rendus d’activité et la « remontée d'informations suffisamment complètes sur l'activité déployée par l'agent à destination de la clientèle existante et des prospects, et sur les résultats obtenus » sont justifiés par l’obligation de loyauté et le devoir réciproque d’information qui incombent à l’agent. Observations : À titre liminaire, l’on peut s’étonner de la stratégie de l’agent qui vise tout à la fois à démontrer qu’il n’était pas indépendant tout en sollicitant, devant le Tribunal de Commerce, la condamnation des mandants au paiement de l’indemnité prévue par l’article L.134-12 du Code de commerce. Argumentation qui parait en effet antinomique avec l’application du statut - l’indépendance est en effet une des conditions cumulatives d’application du statut au sens de l’article L.134-1 du Code de commerce - l’indemnité inhérente au statut ainsi que la compétence du Tribunal de Commerce. Pour le reste, cette solution est classique. Le mode de rémunération forfaitaire de l’agent n’exclut pas en effet l’application du statut (CA Paris 24/02/2021 n°13/11996, LD mai 2021) et n’est pas « contraire aux dispositions légales et n’a pas pour effet d’écarter la qualification d’agent commercial » (CA Paris 24/05/2018 n°15/21617, LD juin 2018). Si la commission envisagée par le statut légal est proportionnelle aux opérations réalisées (art. L134-5 C.com), il ne s’agit pas là d’une disposition d’ordre public (art. L134-16). Quant au forfait journalier, il pourrait effectivement entraîner un risque de requalification en contrat de travail si l’agent n’est pas libre d’organiser son planning et donc son activité. Concernant le remboursement des frais de déplacement et d’hébergement, relevons que l’article 1999 du Code civil relatif au droit commun du mandat prévoit le remboursement par le mandant des frais et avances de son mandataire. Enfin, le rapport d’activité s’inscrit dans l’obligation d’information à la charge de l’agent qui doit communiquer à son mandant toute information nécessaire à l’exécution de son contrat (art. L.134-4 et R.134-1). La limite tient là-aussi à la fréquence imposée à cette obligation et au contrôle de l’activité de l’agent. La requalification est ainsi retenue si l’obligation de rendre compte est quasi-journalière et permet de contrôler les missions de l’agent comme celles d’un salarié (CA Paris 12/11/2009, n°2009-380216). Il en va de même lorsque l’obligation de remettre des fiches d’activité hebdomadaire s’ajoute à son obligation de participer obligatoirement aux réunions de service (CA Angers 7/12/1995, n°1995-052379 ; CA Paris 10/02/2004 n°2004-235223). Mais l’obligation d’un compte rendu hebdomadaire ou mensuel ne peut, à elle seule, constituer le critère d’un lien de subordination dès lors que l’agent organise son travail comme il l’entend, sans faire l’objet d’aucun contrôle (CA Paris 5/07/2007 n°2007-338962 ; CA Paris 7/10/2010, n°2010-019621). C’est donc la combinaison de toute ou partie de ces obligations et leur niveau de contrôle par les mandants que l’agent devait démontrer. Preuve ici insuffisante. Mais si tel avait été le cas, l’indemnisation était celle d’un salarié – et non d’un agent – devant le conseil des prud’hommes – et non la juridiction commerciale…