Paris, 26 janvier 2023, nº 20/02826, M. [M] / Coldwell Banker
Faits – La société Coldwell Banker, agence immobilière membre du réseau international éponyme spécialisé dans l’immobilier de luxe, met un terme à un contrat d’agent commercial pour fautes graves. L’agent conteste ces fautes et sollicite le paiement de l’indemnité de fin de contrat. Le débat sur la gravité des fautes ne sera pas ici commenté. Retenons simplement que la Cour, après avoir retenu l’une de ces fautes (propos irrespectueux), considère qu’elle ne suffit pas à caractériser la faute grave (les autres fautes ne sont pas prouvées : visites d’appartements en état d’ivresse par exemple). Motif classique : « elle s’inscrit dans un contexte de dégradation des relations entre l'agent commercial et son mandant conduisant le premier à tenir des propos irrespectueux envers le mandant ». Le second pare-feu indemnitaire est quant à lui plus intéressant.
Problème – Pour s’opposer au paiement de l’indemnité, le mandant se fonde en effet sur la clause suivante du contrat : « l'agent commercial renonce expressément et définitivement à revendiquer une quelconque indemnité notamment de clientèle s'estimant ainsi pleinement satisfait par cette clause lui permettant en contrepartie de récupérer et emporter avec lui l'entier fichier de sa clientèle d'acheteurs, vendeurs, développé du fait de son partenariat avec la Société. Les parties font force de loi de cette clause qui exprime parfaitement et définitivement leur volonté, convention sans laquelle elles n'auraient jamais contracté ». Autrement dit, une clause qui écarte le versement de l’indemnité de rupture en contrepartie de la possibilité pour l’agent de continuer à exploiter le fichier clientèle est-elle licite ?
Solution – La Cour répond par la négative : « il résulte de l'article L.134 - 15 du code de commerce qu'est réputée non écrite toute clause ou convention contraire, ou dérogeant, au détriment de l'agent commercial, aux dispositions de l'article L.134 -12 du code de commerce […] En conséquence, cette clause […] qui a pour objet de priver l'agent commercial du versement de l'indemnité de rupture, contrairement aux dispositions d'ordre public de l'article L.134-12 du code de commerce, doit être déclarée non écrite ».
Observations – Relevons à titre liminaire l’erreur de plume de la Cour : cette solution est en effet fondée sur l’article L134-16 (dispositions auxquelles les parties ne peuvent déroger) et non L 134-15 du code de commerce (activité accessoire d’agent par rapport à une autre activité principale). Pour le reste, nous souscrivons à une telle solution. Cette rédaction contractuelle (volontairement ?) maladroite ne pouvait aboutir qu’à une telle issue. Obtenir la renonciation par l’agent à son droit à indemnité en contrepartie de son droit à « récupérer et emporter avec lui l'entier fichier de sa clientèle d'acheteurs, vendeurs, développé du fait de son partenariat avec la Société », constitue en effet un mécanisme visant directement à entraver les dispositions d’ordre public précitées. L’agent ne saurait en effet renoncer à ce droit. Également, qualifier « d’indemnité de clientèle », l’indemnité de l’agent ne correspond pas au choix de la France et à la méthode de détermination de l’indemnisation. Mais ne nous y trompons pas, cette décision ne remet pas en cause la jurisprudence TSO. A savoir, la possibilité pour le mandant de valoriser à la signature du contrat la mise à disposition du fichier clients tout en permettant à l’agent de régler le prix par compensation avec les commissions et/ou l’indemnité de fin de contrat (CA Pau 23/11/2021, Lettre déc. 2021 ; Cass. Com. 21/02/2012 n° 11–13 395 et 11–14 974 ; CA Aix-en-Provence 5/09/2012 n°11/03 433 ; CA Lyon 12/02/2015 n° 13/00 364). Le mécanisme est en effet tout autre. L’agent ne renonce pas à son droit à indemnité. S’il perçoit un montant moindre que celui auquel il pouvait prétendre, c’est en raison de la compensation de cette indemnité avec une dette autonome. L’agent y trouve une réelle utilité : bénéficier d’un fichier clientèle qui lui assure un revenu sur cette clientèle qu’il n‘a pas eu à rechercher.
Est-ce à dire que Coldwell Banker aurait pu prévoir un mécanisme similaire au titre de cette exploitation post-contractuelle du fichier clients ? Tout dépend de savoir si cette valorisation a une réelle utilité pour l’agent et s’il ne s’agit pas d’une fraude visant à exclure le droit à indemnité. Notons qu’en l’absence de clause de non-concurrence, l’agent peut continuer à prospecter les clients pour le compte d’un nouveau mandant sans à y être autorisé et sans que le montant de l’indemnité de fin de contrat s’en trouve affecté. Seule limite : la concurrence déloyale dont par exemple le démarchage systématique des clients ou le détournement du fichier clients. Une telle clause – réécrite – pourrait donc sur le principe être utile à l’agent et justifier que son prix se compense avec l’indemnité. Mais resteront notamment à analyser le mécanisme de détermination de ce prix et son montant, afin de s’assurer du réel objectif de la clause…
La faute grave écartée et la clause précitée ici jugée non-écrite, l’agent sollicitait – classiquement – le versement d’une indemnité de deux années de commissions. La Cour se fondant sur la durée courte des relations (3 ans) et le volume d'affaires réalisées, limite cette dernière à « un an de commissions calculée sur la dernière année complète d'exercice du mandat ».