Présenté comme un texte ayant pour ambition de faciliter l’accès aux services publics (démarches simplifiées pour les entreprises, rationalisation des commissions consultatives notamment), la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ci-après « Loi ASAP ») s’est enrichie au gré du contexte sanitaire et économique de dispositions autres qui intéressent le droit de la distribution – dont les négociations commerciales – et de la concurrence. Dispositions dont les effets pourraient être renforcées au regard du nouveau pouvoir d’injonction sous astreinte accordée à la DGCCRF par la loi DDADUE (Art. 6-2°-b de la loi portant diverses dispositions d'adaptation du droit national au droit de l'Union européenne n°2020-1508 du 3/12/2020).
Relèvement du SRP et encadrement des promotions : poursuite de l’expérience (article 125) L’Ordonnance du 12 déc. 2018 n°2018-1128 – résonance de loi Egalim – a prévu pour une durée de deux ans, et pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie revendus en l’état, le relèvement du SRP de 10% ainsi que le plafonnement des avantages promotionnels en valeur (34%) et en volume (25%). Ce relèvement avait pour objectif d’octroyer un surcroît de marge aux distributeurs sur les marques nationales (produits d’appel) pariant ainsi sur une hausse des tarifs des fournisseurs alimentaires, et donc une revalorisation de la rémunération des producteurs. Certains craignaient néanmoins des effets inflationnistes (UFC Que Choisir, E. Leclerc).
Le mécanisme d’encadrement en volume et en valeur des promotions devait répondre, quant à lui, aux critiques liées à la multiplication des opérations promotionnelles dans un contexte de marché amont/aval déséquilibré et défavorable aux producteurs agricoles voire aux consommateurs.
Après deux années d’expérimentation, les conclusions du rapport d’évaluation font état d’une impossibilité d’étudier distinctement les conséquences de ces mécanismes au regard des objectifs poursuivis (Rapport au Parlement 30 sept. 2020). Prenant acte de ces conclusions d’étape, la Loi ASAP prolonge cette expérimentation jusqu’au 15 avril 2023 (article 125-VIII), abrogeant ainsi l’Ordonnance précitée (art 125-IX) ainsi que les dispositions législatives qui autorisaient le gouvernement à prolonger par ordonnance les mécanismes précités pour une période ne pouvant excéder quatorze mois (art. 54-I-2°, loi 17 juin 2020 n°2020-734 ; art. 125-X Loi ASAP).
Cette prolongation d’expérience s’accompagne de modifications prenant en compte les effets pervers de l’application pratique de ce mécanisme d’encadrement des promotions. Ainsi, pour faire face à la dégradation des ventes des produits festifs (vins pétillants, foie gras, notamment), produits au caractère saisonnier marqué, la loi nouvelle prévoit une dérogation au plafonnement en volume pour les denrées ou catégories alimentaires. La liste des denrées concernées doit être précisée par arrêté ministériel. Le bénéfice de cette dérogation nécessite en outre : la justification de la saisonnalité des ventes (définie comme « plus de la moitié des ventes concentrée sur une durée maximum de 12 semaines ») ; la demande de la dérogation par l’interprofession de la catégorie des denrées alimentaires concernées ou, en l’absence, par une organisation représentant les producteurs ou les fournisseurs de ces denrées. La loi prévoit enfin, tout comme l’Ordonnance du 12 décembre 2018, l’exclusion des produits périssables et menacés d’altération rapide du champ des dispositions relatives au plafonnement des promotions, à condition qu’aucune publicité extérieure au point de vente ne soit effectuée ; la possibilité de suspendre par décret les mécanismes précités si le comportement d’un nombre significatif d’acheteurs compromet l’un des objectifs de rétablissement des conditions de négociation favorables pour les fournisseurs ; la remise de rapports d’évaluation desdites mesures au 1er octobre 2021 et au 1er octobre 2022 au regard notamment du partage de valeur attendu. Enfin, il est à noter que ces dispositions sont applicables aux contrats en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi (9 déc. 2020) et donc aux négociations commerciales 2021. Négociations commerciales qui devront prendre en compte en outre les lignes directrices de juillet 2020 sur la prise en compte des « indicateurs » dans la chaîne contractuelle (Lignes directrices DGCCRF 27/072020, cf. site economie.gouv.fr)
Pénalités logistiques : pratique restrictive ressuscitée (art. 139)
L’article de la Loi ASAP, complète l’article 442-1, I du Code de commerce et crée une nouvelle pratique restrictive de concurrence relative aux pénalités logistiques d’application immédiate. Est donc interdit : « 3° d'imposer des pénalités disproportionnées au regard de l'inexécution d'engagements contractuels ou de procéder au refus ou retour de marchandises ou de déduire d'office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non-respect d'une date de livraison, à la non-conformité des marchandises, lorsque la dette n'est pas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur ait été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant.» (art. 139). Le lien de filiation avec l’ancien article L 442-6, I, 8° est évident. Relevons néanmoins que la loi nouvelle ajoute à ces dispositions abrogées, la prohibition des « pénalités disproportionnées ». Il n’est pas certain que cette nouvelle (ancienne) disposition corresponde aux objectifs affichés par la refonte de l’article L 442-6 (devenu L 442-1) qui visait à recentrer les pratiques restrictives autour de trois pratiques essentielles : l’obtention d’un avantage sans contrepartie ou disproportionné, le déséquilibre significatif et la rupture brutale. La déduction d’office des pénalités, voire leur disproportion, paraissait en effet pouvoir être appréhendée par ces pratiques générales. En outre, un travail collaboratif conséquent avait été réalisé par les fournisseurs et distributeurs, d’abord par le biais de Chartes éthiques (en 2007 et 2012) pour aboutir à la publication par la CEPC d’un guide des bonnes pratiques en matière de pénalités logistiques (CEPC n°19-1 du 17 janvier 2019). Ces bonnes pratiques concernaient en effet aussi bien l’avant contrat d’approvisionnement (CGV / CGA, définition du taux de service adapté, détermination d’un montant de pénalité respectant la proportionnalité), que l’exécution du contrat (procédures de commandes, respect des honoraires et tolérance, démarche d’optimisation des flux) voire le règlement des litiges liés à l’application des pénalités. Etant applicables largement et sanctionnables sur le terrain des pratiques restrictives existantes, la question paraissait être réglée. La crise sanitaire est néanmoins passée par là et a entrainé des désorganisations de la production et des approvisionnements et donc une impossibilité pour les opérateurs à respecter les procédures logistiques habituelles. Face à cette situation, certaines enseignes ont ainsi suspendu l’application des pénalités. Des craintes face à cette situation précaire ont néanmoins été formulées (Question A.N n°30955 du 07 juill. 2020, M.D. Adam). La CEPC a ainsi recommandé quant à elle aux partenaires commerciaux de : ne pas revenir sur ces suppressions ; mettre en place des démarches de progrès spécifiques à la sortie de crise ; s’accorder sur un suivi individualisé des taux de service ; mettre en place un mécanisme d’alerte pour prévenir les éventuelles difficultés de commandes (Recom. n°20-1 du 6 juill. 2020). Certains acteurs ont quant à eux plaidé pour une modification de la loi intégrant l’interdiction de la déduction d’office et la proportionnalité des pénalités (D. DIOT, ILEC, 01/10/2020). Il semblerait qu’ils aient été entendus. Reste à savoir si cette pratique rstrictive particulière aura un réel intérêt juridique et donc financier pour les fournisseurs.
Aymeric Louvet
Insertion des services et obligations rendus par les centrales situées à l’international dans le champ du contrôle des négociations (Article 138)
Depuis le début des années 1990, dans le cadre de leur développement international, les distributeurs français ont constitué, seuls ou avec des concurrents étrangers, des centrales internationales, généralement implantées en Suisse ou en Belgique. Ce phénomène suit la mouvance économique de concentration des grands groupes de distribution et des groupes fournisseurs, et l’harmonisation de plus en plus forte des modes de consommation au niveau international.
Porté par un amendement n° 125 de M. Grégory Besson-Moreau, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 2 octobre 2020, l’introduction du nouveau texte vise à indiquer, dans la convention écrite applicable à la négociation commerciale en France, l’ensemble des montants versés à des centrales internationales, liées directement ou indirectement au distributeur concerné, dès lors que ces sommes sont rattachables à des produits mis sur le marché dans une surface de vente du distributeur située en France. L’exposé sommaire de l’amendement n° 125 précise ainsi que ce nouveau texte a pour objectif de faciliter le contrôle, par l’administration française, des contributions financières versées par les fournisseurs français aux centrales internationales, dont les montants « sont souvent dépourvus de contreparties », et vise ainsi à « faire plus de transparence sur ces pratiques qui visent le plus souvent à contourner la loi française pour imposer des baisses de tarif très importantes à leurs fournisseurs sans contreparties ».
Le III de l’article L. 441-3 du Code de commerce qui prévoit actuellement le contenu de la convention écrite conclue entre le fournisseur et le distributeur, est désormais complété par un 4°) qui vise : « L’objet, la date, les modalités d’exécution, la rémunération et les produits auxquels il se rapporte de tout service ou obligation relevant d’un accord conclu avec une entité juridique située en dehors du territoire français, avec laquelle le distributeur est directement ou indirectement lié. » Cette disposition s’appliquera à la convention de droit commun, et à celle afférente aux produits de grande consommation (L441-4).
L’introduction de ce texte intervient dans le contexte de condamnation de la centrale d’achat européenne Eurelec (constituée par le mouvement E. Leclerc et Rewe) à une amende administrative de 6,34 millions d’euros, pour ne pas avoir respecté l’obligation prévue par la loi française de conclure la convention écrite au plus tard le 1er mars (article publié sur www.lsa-conso.fr le 30 sept. 2020). Ladite centrale contestant l’application de la loi française à cette relation internationale, il est à souligner que la Cour de cassation, a retenu le caractère de loi de police des dispositions relatives au déséquilibre significatif et à la pratique de bénéfice automatique des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant (Com., 8 juill. 2020, n° 17-31.536, LD Sept 2020, obs. F. Leclerc). Autrement dit, la soumission à un déséquilibre significatif commise vis-à-vis d’une entreprise française pourrait être sanctionnée en application de loi française même si le contrat est soumis à une loi étrangère.
L’intérêt de la loi nouvelle est ainsi de permettre à l’administration d’analyser plus aisément si les accords internationaux conclus sont licites, en particulier au regard des dispositions de l’article L. 442-1 relatives à l’avantage sans contrepartie ou disproportionné et au déséquilibre significatif.
Nouveau rejet de la « clause de réparation » visant à la libéralisation des pièces de rechange automobiles « visibles »
Les pièces visibles (rétroviseurs, ailes, capots, optiques, vitrages...), sont des pièces de rechange qui, si elles sont d’une apparence nouvelle et possèdent un caractère propre, peuvent être protégées au titre du droit des dessins et modèles ou du droit d’auteur, conférant ainsi au constructeur automobile un monopole de droit sur leur distribution. En conséquence, les réparateurs indépendants sont tenus de s’approvisionner pour une part importante de leurs besoins auprès des distributeurs du réseau constructeur. A la différence de la France, plusieurs pays ont choisi de réformer cette protection en introduisant une clause dite « de réparation », autorisant la fabrication et la distribution de ces pièces sur le marché de la rechange par des opérateurs tiers (e.g. Belgique, Espagne, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, RU, Hongrie, Lettonie, Grèce).
L’article 136 de la Loi introduisait une perte de la protection par les droits d’auteurs pour « les pièces destinées à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque, au sens de l’article L 110-1 du Code de la route ». Une protection de 10 ans au titre du droit des dessins et modèles demeurait pour les pièces de carrosserie, d’optique ou rétroviseurs produites par d’autres opérateurs que les équipementiers de première monte. Les autres pièces « visibles » étaient ouvertes à la concurrence dès le 1er janvier 2021.
L’Autorité de la concurrence s’était prononcée en 2012 en faveur d’une ouverture progressive à la concurrence des pièces de rechange « visibles », considérant qu’elle permettrait une baisse des prix de ces pièces et donc des primes d’assurance, au bénéficie des consommateurs, tout en réduisant le cloisonnement entre le canal constructeur et le canal indépendant, et favorisant le développement du marché européen puisque les équipementiers français pourraient fabriquer des pièces de rechange pour les marchés français et étrangers (ADLC, Avis n°12-A-21). Cette position n’est pas de l’avis des constructeurs automobiles qui considèrent que ces mesures pénaliseraient leurs investissements dans l’innovation, sans impact réel sur la baisse des prix, et permettraient le déploiement de la concurrence d’entreprises à bas coûts, principalement situées en Asie du Sud-est (conclusions déposées par la CCFA le 6 novembre 2020 auprès du Conseil constitutionnel). A l’instar du premier rejet de ces dispositions lors de son examen de la loi LOM (Cons. const. n° 2019-794, 20 /12/2019), le Conseil constitutionnel a censuré l’article 136 de la Loi ASAP non pas sur le fond mais au titre d’une procédure défectueuse de l’adoption du texte, ce dernier constituant un « cavalier législatif » (Décision n° 2020-807, 3/12/2020). Le régime français de la protection des pièces détachées se maintient donc jusqu’à nouvel ordre. Il est donc urgent d’attendre.