Cour d'appel de Nancy, 5ème Chambre, Arrêt du 5 octobre 2022, Répertoire général nº 22/01549
Faits
La société Carrefour Proximité France avait confié l’exploitation d’un fonds de commerce d’alimentation générale sous enseigne « Carrefour express » à un locataire-gérant. Ce dernier avait conclu trois contrats avec la société Carrefour Proximité France : (i) un contrat de location gérance avec la stipulation expresse que le fonds devait être exploité sous enseigne Carrrefour Express, (ii) un contrat de franchise mentionnant qu'en cas de résiliation de la location gérance, ce contrat serait également résilié de plein droit, (iii) un contrat d'approvisionnement avec le groupe Carrefour.
Le contrat de location-gérance comportait une clause de non-concurrence qui stipulait qu’à son expiration, le preneur s'interdisait d'exploiter un fonds de commerce de même nature pendant un délai de cinq années à compter de la résiliation, dans un rayon de 5 kilomètres à vol d'oiseau du fonds loué en milieu urbain et 15 km en milieu rural.
Suite à la résiliation par la société Carrefour du contrat de location-gérance, l’ancien exploitant avait ouvert un fonds de commerce en violation de la clause de non concurrence. La société Carrefour l’a assigné devant le juge des référés afin de faire ordonner la fermeture du fonds litigieux. Le juge de première instance ayant fait droit à cette demande, l’ancien exploitant a formé appel devant la Cour d’appel de Nancy, arguant que le juge des référés ne pouvait se prononcer si la licéité de la clause n’apparaissait pas avec évidence.
La question posée à la Cour était de savoir si la clause de non-concurrence stipulée dans un contrat de location-gérance conclu simultanément avec un contrat de franchise et d’approvisionnement exclusif pour l’exploitation du fonds devait respecter les dispositions d’ordre public visées aux article L341-1 et L341-2 du Code de commerce ?
La solution posée par la Cour, statuant en référé, est «
l'article L 341-1 s'applique à l'ensemble des contrats ayant pour but commun l'exploitation d'un magasin de commerce de détail. Par ailleurs, le texte exclut certains contrats de son champ d'application (bail commercial, contrat de société civile, commerciale ou coopérative), cette exclusion étant inutile si les dispositions sont applicables uniquement aux contrats de distribution et, en outre, le contrat de location-gérance n'est pas mentionné […] la licéité de la clause, au regard des dispositions desarticles L 341-1 et L 341-2 du code de commerce n'apparait pas avec l'évidence requise devant le juge des référés. L'ordonnance entreprise sera en conséquence infirmée ».
Analyse
La loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (dite « Loi Macron ») est venue insérer un Titre IV « des réseaux de distribution » instaurant, à travers les articles L 341-1 et L 341-2 du Code de commerce, un droit spécial des contrats de distribution dans le commerce de détail. Ce dispositif a été adopté afin de « renforcer la concurrence dans le secteur de la grande distribution en facilitant les changements d’enseignes par les magasins indépendants » (Commission des affaires économiques, F. Brottes). Il instaure une nullité de principe des clauses de non-concurrence dans les contrats de distribution relatifs au commerce de détail sauf si elles respectent les conditions cumulatives suivantes « 1° Elles concernent des biens et services en concurrence avec ceux qui font l'objet du contrat […] ; 2° Elles sont limitées aux terrains et locaux à partir desquels l'exploitant exerce son activité pendant la durée du contrat […] ; 3° Elles sont indispensables à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre du contrat […] ; 4° Leur durée n'excède pas un an après l'échéance ou la résiliation d'un des contrats mentionnés à l'article L. 341-1. ». En l’espèce, la clause contenue dans le contrat de location-gérance, stipulée pour cinq ans et dans un rayon de 5 kilomètres ne respectait pas ces conditions.
Les contrats concernés sont « l’ensemble des contrats […] ayant pour but commun l’exploitation de ce magasin et comportant des clauses susceptibles de limiter la liberté d’exercice par cet exploitant de son activité commerciale », à l’exclusion expresse du contrat de bail, du contrat d’association et au contrat de société civile, commercial ou coopérative (Art. L 341-1 du Code de commerce). L’exigence d’un « but commun » des contrats renvoie à la notion d’ensemble contractuel ou de groupe de contrats, et par là-même à celle d’ « indivisibilité » ou d’ « interdépendance ». Si une approche subjective de l’indivisibilité, reposant sur la volonté contractuelle a longtemps primée, la Cour de cassation réunie en chambre mixte en 2013 est venue consacrée une approche objective de l’indivisibilité qui consacre la théorie suivant laquelle plusieurs contrats concourant à la même opération économique sont réputés indivisibles, nonobstant toute clause écrite contraire (Cass. Ch. Mixte, 17 mai 2013, n°11-22.768 et 11-22.927).)
L’article L341-1 du Code de commerce instaure une indivisibilité objective entre les contrats ayant pour but l’exploitation d’un magasin de commerce de détail. Or, les contrats de franchise et de location-gérance sont régulièrement considérés comme indivisibles (CA Paris, 5-4, 29 juin 2022, n°18/19812 ; CA Paris, 5-3, 12 janv. 2022, n°19/19800). En outre, en l’espèce, cette indivisibilité relevait des conventions puisque l’arrêt précise que la résiliation du contrat de location-gérance entrainait de plein droit celle du contrat de franchise.
Ainsi, en l’espèce, les contrats de franchise et de location-gérance ayant pour but commun l’exploitation d’un commerce de détail, la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de location-gérance devait répondre aux conditions posées par l’article L 341-2 du Code de commerce pour être licite. Les juges du fond ne devraient pas adopter une solution contraire.