Contexte – L’ANPAA (association de prévention en alcoologie) a poursuivi Kronenbourg considérant que ses films publicitaires et son jeu visant à promouvoir la bière Grimbergen, placés sous le signe de la « légende du Phoenix », ne respectaient pas la loi Evin.
Problème - Procédant à une analyse de chacune des publicités soumises, la Cour d’Appel de Paris les valide au motif que ces dernières se rattachent à la marque, l’emblème, l’histoire et les origines du produit. Autrement dit, les indications et références au sein de ces publicités correspondaient à celles autorisées par l’article L.3323-4 du Code de la Santé Publique. Pour parvenir à une telle conclusion, la Cour opère une distinction entre d’un côté « les mentions purement objectives » (à savoir : la couleur, les caractéristiques olfactives et gustatives du produit), et de l’autre “les indications qui laisseraient la place à l’imagination des concepteurs des messages publicitaires » (à savoir : l’origine, la dénomination ou la composition du produit ;CA Paris 13/02/2018). L’ANPAA soutenait au contraire au sein de son pourvoi que les indications figurant à l’intérieur des limites fixées par la loi « sont toutes informatives et objectives ».
Solution – La Cour de Cassation sensible à ces arguments casse l’arrêt d’appel. La Haute juridiction précise à cet effet, sur le fondement des articles L 3323-2 et L 3323-4 du Code de la Santé Publique, que la publicité licite « demeure limitée aux seules indications et références spécifiées à l’article L.3323-4 précité, et présente un caractère objectif et informatif (1.Civ, 1er juillet 2015, pourvoir n°14-17.368. Bull.2015, I, n 166), lequel ne concerne donc pas seulement les références relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ». La distinction, qui permet à la Cour d’Appel de Paris de valider le contenu des films et du jeu litigieux, est donc contraire à la loi.
Analyse - Cette distinction proposée par la Cour d’Appel pouvait s’expliquer par une analyse littérale du texte : la notion d’objectivité n’est en effet associée qu’aux références relatives « à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit » ; rien de tel pour les autres indications et références. Distinction dont nous relevions néanmoins qu’elle était susceptible de poser difficultés (LD janvier 2019, CA Paris 13/12/2018). Cette décision publiée au Bulletin rappelle donc fermement le cadre rigide au sein duquel les annonceurs doivent naviguer. Serait-ce pour autant un retour pour la Chambre Civile à une conception purement objective et technique des indications et références autorisées ? Serait-ce, comme l’affirme l’ANPAA, une « grande nouveauté » dès lors que serait affirmé « le principe d’une publicité alcool à visée strictement informative (cf Site internet ANPAA, Actualités Communiqué du 27/05/2020) ? Nous ne le pensons pas. Relevons tout d’abord le renvoi exprès par la Cour de Cassation à la décision de la 1ère Chambre Civile du 01/07/2015. Décision qui constituait, rappelons-le, l’épilogue judiciaire des campagnes d’affichages du CIVB mettant en scène des acteurs de la filière viticole un verre à la main. Or, la solution, si elle rappelait la nécessité de limiter la publicité aux mentions légales objectives, marquait surtout un revirement et une évolution libérale forte. Cédant à la résistance de la Cour d’Appel de renvoi (CA Versailles 03/04/2014 n°12/02-102), la Haute juridiction validait en effet « l’impression de plaisir qui se dégageait des visuels » dès lors qu’elle ne « dépasse pas ce qui est nécessaire à la promotion des produits et inhérent à la démarche publicitaire proprement dite ». Trois ans auparavant cette même Chambre Civile avait en effet considéré ces publicités illicites intégrant des « références visuelles étrangères aux seules indications énumérées par l'article L. 3323-4 du Code de la Santé Publique et visaient à promouvoir une image de convivialité associée aux vins de Bordeaux de nature à inciter le consommateur à absorber les produits vantés ». Maturation néanmoins plus lente que pour la Chambre Criminelle. Cette dernière, au sujet des affiches vantant – par référence à l’univers de la BD Blake et Mortimer – le whiskey Jameson, avait déjà accueilli cette évolution. Ainsi, après avoir jugé ces dernières illicites au motif qu’elles comportaient des éléments étrangers aux strictes indications prévues par la loi (Crim 19/12/2006 n°05/87-268 ; Crim 26/01/2010 n°08/88-134), la Chambre Criminelle a validé la part de fiction de cette publicité qui ne contenait pas d'éléments illicites et a opéré un revirement (Cass.crim. 15/05/2012 n° 11-83.686). La fiction, touchant aux références objectives, est donc licite (“qu'elles évoquent seulement le monde artisanal dans lequel est né le produit et les soins qui ont été apportés à sa fabrication, dès sa création, tous éléments se rapportant à l'origine et au mode d'élaboration du produit visés par la loi”). Marge de manœuvre évocatrice que l’on retrouve de même au sein de la Recommandation Alcool de l’Autorité de Régulation de la Publicité (et ce au grand dam là aussi de l’ANPAA « Décryptages N°35 – L’autorégulation des pratiques commerciales des alcooliers : Efficacité ou leurre ? » 26/02/2019 ; “L’ARPP répond aux attaques sans fondement de l’ANPAA et elle demande le respect de ses missions et de ses instances » Communiqué ARPP 6.05.2019). Il conviendra en conséquence d’être attentifs à la décision de la Cour d’Appel de Versailles saisie sur renvoi et au chemin emprunté par cette dernière : résistance et maintien de la distinction : références objectives/indications laissant place à l’imaginaire ; distinction écartée au profit d’une étude proportionnée de la publicité – intégrant sa part de fiction et d’imagination – en lien avec les indications objectives limitativement prévues par la loi. Notre préférence va à la seconde voie. L’essentiel étant que ces publicités ne fassent « pas appel au sentiment de bonheur ni ne jouent sur le registre de la convivialité » au-delà de ce qui est acceptable pour l’alcool. La publicité, et non le message strictement informatif et objectif, doit en effet rester autorisée.
Aymeric Louvet