CA Bordeaux, 08 mars 2023 n°20/00318
Les faits – La société « A Vendre A Louer » noue des relations contractuelles avec un agent commercial pendant quelques mois avant de l’embaucher en qualité VRP négociateur immobilier. Pour mettre fin au premier contrat, un accord de rupture amiable est conclu. L’ancien agent, dont lé période d’essai de salarié est rompu, dénonce le conditions de signature de cet accord et sollicite la condamnation de son mandant au paiement de commissions, de l’indemnité de préavis et de l’indemnité fin de contrat.
Problème n°1 – Les parties s’opposent d’abord sur l’efficacité de la clause suivante : « Le contrat d'agent commercial […] est rompu de manière irrévocable sans préavis […] Les deux parties s'entendent sur le fait qu'aucune commission n'est due à la suite de cette rupture amiable ». L’agent soutient en effet que ces stipulations doivent être considérées comme non écrites dès lors qu’elles sont contraires aux dispositions d'ordre public qui encadrent son droit à commission et à préavis.
Solution – La Cour d’Appel écarte les demandes de l’agent concernant les commissions au motif qu’« il est constant en droit que la seule disposition d'ordre public en la matière est le principe de l'exigibilité de la commission, de sorte qu'aucune disposition de l'article L.134-16 cité supra n'interdisait aux parties de déroger aux articles L.134-5 et L.134-6 du code de commerce ; dès lors, l'article L.136-16 du même code ne répute pas non écrite une clause par laquelle l'agent commercial renonce à percevoir sa commission. Il n'y a donc pas lieu à déclarer non écrites les stipulations de l'accord en date du 15 avril 2017 de rupture amiable du contrat ».
Problème n°2 – Avant de s’intéresser à l’indemnité de préavis, la Cour d’Appel détermine si l’indemnité de fin de contrat est due dans l’hypothèse où la cessation des relations résulte d’un commun accord des parties.
Solution – La décision est sans ambiguïté dès lors qu’« il est constant en droit que la rupture du contrat d'agence commerciale ''d'un commun accord'' par les parties ouvre droit à indemnisation de l'agent dès lors qu'aucun autre élément ne permet d'affirmer que la rupture procède d'une demande de l'agent. ». Ce faisant, « dans la mesure où le contrat litigieux a pris fin d’un commun accord, le préavis d’un mois – compte tenu de la durée du contrat – est donc dû par la société A vendre A louer ».
Observations – Cette décision rappelle la difficulté pour les praticiens de sécuriser par un accord transactionnel la rupture du contrat d’agent commercial. Difficulté en grande partie liée aux dispositions d’ordre public issues du statut d’agent commercial (art. L134-16 code de commerce). Dispositions d’ordre public dont on sait en effet qu’il n’est pas possible d’y déroger par le contrat (art. 6 code civil), sauf dans certains cas plus favorables à l’agent. Ce faisant, la solution est acquise : toute renonciation anticipée à l'indemnité de préavis (art. L 134-11) et/ou l’indemnité de fin de contrat (art. L 134-12) est inefficace. Et ce, peu importe que cette renonciation soit insérée dans un acte séparé tel le contrat de travail que pourrait conclure a posteriori l’agent commercial (cf. la lettre de l'article L.134-16 qui vise « toute clause ou convention ; Cass. com., 21 oct. 2014, n° 13-18.370). Néanmoins, si la renonciation anticipée est proscrite, il n’est pas interdit de renoncer aux effets acquis dudit droit (Cass. 1re civ., 17 mars 1998, n° 96-13.972 ; Cass. Soc 5/02/2002, 99-45.861). Le droit du travail est habituellement le terrain d’accueil de ce type de renonciation.La Haute Cour, a par ailleurs admis, concernant les dispositions d’ordre public relatives à la rupture brutale des relations commerciales, la possibilité de convenir des modalités de la rupture ou de transiger sur l'indemnisation du préjudice subi par suite de la brutalité de cette rupture (Cass. com., 16 déc. 2014, n° 13-21.363).
Ici, s’agissant d’abord des commissions, la Cour d’Appel retient que seules les dispositions relatives à l’exigibilité des commissions sont d’ordre public (art. L134-9 et -10) et non celles relatives au droit à perception des commissions (art. L134-5 et -6). S’agissant ensuite de l’indemnité de préavis, la motivation est laconique. Pour la Cour, le délai d’un mois de préavis initialement prévu au contrat d’agent serait en effet suffisant au regard de l’article L.134-11 du code de commerce. Si une telle conclusion paraît implacable, force est de constater que le raisonnement qui la sous-tend est un peu rapide. L’accord amiable prévoyait en effet expressément que « le contrat (…) est rompu de manière irrévocable et sans préavis ». Or, le principe et la durée du préavis font aussi partie des dispositions d’ordre public. Cette clause aurait donc dû être examinée à l’aune des principes ci-dessus rappelés. S’agissant enfin de l’indemnité de fin de contrat, la recherche de l’imputabilité de la rupture en présence d’une « rupture d’un commun accord » et l’octroi de l’indemnité si l’un des motifs exonératoires prévus à l’art. L 134-13 n’est pas justifié, est classique (par exemple CA Aix-en-Provence 16/02/2017 n°15/03525). En apparence, cette solution s’écarte des observations précédentes. Il arrive néanmoins fréquemment que la chronologie de la rupture et le contenu de l’accord des parties diffèrent d’une simple rupture d’un commun accord : rupture par le mandant dans un premier temps ; puis négociation et conclusion d’un accord transactionnel dans un second temps. Si la rupture est justifiée par faute grave de l’agent ( que l’agent conteste) et la transaction emporte renonciation à l’indemnisation par ce dernier, l’accord est-il juridiquement efficace ? Pour paraphraser le Professeur Clémence Mouly-Guillemaud, s’intéressant aux effets de la transaction en matière de rupture brutale, « si l’évaluation de leur chance de succès conduit les intéressés à les estimer égales, cette convention emporte bien concessions réciproques mais nullement indemnisation. Sera-t-elle néanmoins efficace pour la Cour de cassation ? » (Clémence MOULY-GUILLEMAUD « Rupture brutale : les comptes entre amis sont permis, le désengagement progressif aussi », Revue Lamy de la Concurrence Année : 2015). Pour répondre à cette question encore faut-il être en capacité de déterminer à quel moment les effets du droit sont acquis. Or, dans nombre de cas, « la distinction ne va pas sans mal »(Ph. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux : Defrénois, 2013, n° 1115). Cet aléa identifié, l’une des pistes serait donc de s’assurer de la reconnaissance de ce droit à indemnité, d’obtenir de l’agent l'acceptation d'une diminution de son montant en contrepartie de concessions du mandant telle la renonciation à l’application d’une clause de non-concurrence, l’application d’un décompte de commissions plus favorable (CA Nancy 24/02/2021, n° 19/02813) et/ou la renonciation à obtenir réparation du préjudice subi du fait des fautes de l’agent. Dans tous les cas, et même s’il s’agit d’un « mauvais arrangement », les effets dissuasifs (ne serait-ce que psychologiques) attachés à la transaction, et donc aux concessions réciproques, ne sauraient être occultés…