Faits. Une société commercialise sur son site internet des produits et accessoires pour le jardin dont une gamme de trampoline. Elle confie pendant neuf ans à un prestataire spécialisé la partie logistique de cette activité puis l’informe de la cessation des relations par différents courriels. Décision contestée par le prestataire considérant qu’il s’agit d’une rupture brutale dont le préjudice doit être réparé.
Problème 1.L’auteur de la rupture, pour contester ces demandes, oppose la forclusion de l’action. Celui-ci se fonde sur les conditions générales du prestataire qui prévoient une durée de prescription d’un an pour toute action née du contrat. Argument efficace en première instance mais contesté par le prestataire en appel. Motif : la responsabilité pour rupture brutale d'une relation commerciale est de nature délictuelle, donc d’ordre public et ne permet pas d’aménagement conventionnel du délai de prescription.
Solution. La Cour infirme le jugement dès lors que l’action n’est pas fondée « sur des stipulations contractuelles résultant de ses conditions générales de vente, mais l'action spécifique de l'article L 442-6-1 5° ancien du code de commerce qui, relevant des dispositions relatives aux pratiques restrictives de concurrence, permet de rechercher la responsabilité en cas de rupture brutale d'une relation commerciale établie; dès lors, la société Walibuy ne peut valablement se prévaloir de la prescription d'un an prévue à l'article 12.4 précité des conditions générales de vente de la société Roussel International ».
Le prestataire ayant agi dans le délai de prescription quinquennale, prévu par l'article L. 110-4 du Code de commerce et par l'article 2224 du Code civil, ses prétentions sont recevables.
Observations. Les arguments de l’appelant et de l’intimé posaient clairement le débat. En réponse, la Cour d’appel exclut la possibilité de se fonder sur les stipulations contractuelles dès lors qu’il s’agit d’une action fondée sur la rupture brutale.
Est-ce à dire, comme le soutenait l’appelant, que l’aménagement contractuel de la prescription de l’action en rupture brutale de nature délictuelle est prohibé en raison de l’ordre public qui la caractérise ?
Ou doit-on comprendre que la clause des conditions générales ne concernait que les actions liées aux inexécutions et cas de ruptures contractuelles et nullement les actions fondées sur la responsabilité délictuelle ?
Il semblerait que la Cour s’oriente – implicitement – vers la première hypothèse faisant ainsi écho à l’argumentation de la victime de la rupture et à l’hostilité habituelle de la jurisprudence à l’égard des conventions relatives à la responsabilité délictuelle. Mais ne s’agit-il pas là d’une interprétation ?
Une solution plus didactique aurait en tout état de cause été préférable.
D’abord car il pourrait s’agir d’une volonté contractuelle clairement exprimée par les parties en relations d’affaires (ce qui n’est pas le cas en l’espèce) désireuses de régir les litiges extracontractuels les concernant directement et exclusivement.
Ensuite, dès lors que l'avant-projet de réforme de la responsabilité civile (ainsi que la proposition de loi) admet la validité des clauses ayant pour objet d'exclure ou de limiter la réparation en matière extracontractuelle (sous conditions et limites).
En outre, cet aménagement concerne ici la durée de la prescription et non l’obligation de réparation. Prescription (non spécifique à la pratique restrictive objet du litige) dont la durée peut être valablement réduite à un an(art. 2254 Code civil) à l’exception de certaines actions notamment en paiement (al. 3 art. 2254 code civil) ; étant précisé que la responsabilité civile délictuelle ne fait pas partie desdites actions restrictives de la liberté des parties.
Enfin, la question de l’ordre public, ainsi que de ses effets, aurait mérité davantage d’éclaircissements.
Au-delà de la présente décision, il est donc probable que la discussion concernant l’efficacité des clauses régissant la prescription - y compris au titre d’action en responsabilité délictuelle – ne soit pas totalement close. Attendons le rebond…
Problème 2. Pour justifier l’absence de brutalité de la rupture, l’auteur communique des échanges de courriels démontrant que : le prestataire a été informé dès le mois de juin de sa décision de cesser les relations ; ces relations se sont effectivement poursuivies jusqu’en mars de l’année d’après. Et de préciser qu’un préavis a minima de six mois a donc été accordé, préavis suffisant.
De son côté, le prestataire considère au contraire n’avoir jamais reçu de précision quant à la date de cessation effective des relations. Quant à la soi-disant poursuite des relations, celle-ci s’est traduite par des commandes insignifiantes. Le préjudice doit donc être fixé sur la base de douze mois de préavis dès lors que l’activité était saisonnière et le chiffre d'affaires réalisé avec cette société représentait 55,80 % de son chiffre d'affaires logistique.
Solution. Concernant d’abord la brutalité de la rupture, la Cour considère que « la rupture des relations commerciales n'a été précédée d'aucun préavis notifié par écrit précisant la date de fin des relations… ». Cette rupture s'est en effet concrétisée en septembre, l’analyse des chiffres d’affaires de la saison précédente démontrant qu’elle « a d'abord été partielle jusqu'en mars puis totale à compter de cette date ». La rupture est donc brutale.
Concernant ensuite la durée du préavis, celle-ci est fixée à six mois en l’absence : de caractère saisonnier de l’activité dès lors que les « prestations de logistique et de stockage (étaient) facturées mensuellement, peu important que ses prestations soient plus ou moins importantes certains mois en fonction des besoins [du donneur d’ordre]) ; voire d’état de dépendance économique.
Observations. L’acte qui manifeste l’intention de l’auteur de ne pas poursuivre les relations semble ici, à la lecture des échanges de courriels produits, justifié. En revanche, la Cour n’a pas trouvé d’information dénuée d’ambiguïté concernant le point d’arrivée du préavis qui – combiné au point de départ – permet de faire courir le délai. Cette solution s’inscrit dans la droite ligne de décisions récentes : le caractère prévisible de la rupture ne prive en effet pas celle-ci de son caractère brutal si elle est faite sans préavis écrit (Com. 6/09/2016 n° 14-25891 ; Com. 28/09/2022 n° 21-16.209). Quant à la poursuite dans un premier temps des relations, elle caractérise une rupture partielle des relations (qui précède la rupture totale) dès lors que le prestataire a continué d’exécuter ses prestations logistiques pendant près de 6 mois pour des opérations qualifiées par la Cour de « marginales » en raison de l’importante chute des commandes. Il ne s’agit donc pas d’un préavis effectif (Com., 7 sept. 2022, n° 21-12.704). La Cour fixe enfin la durée du préavis raisonnable à six mois pour neuf années de relations écartant toute particularité à celle-ci (voir en ce sens CA Paris, 8 avril 2022, n° 20/06223) et retient la perte de marge sur coûts variables pour réparer le préjudice.
A. Louvet
Article publié à la Lettre de la Distribution et à la Revue Concurrences