Rupture du contrat d’agent commercial : initiative, imputabilité et préjudice
CA Paris 2 avril 2015, n° 13/19813
La question de l’initiative et de l’imputabilité de la rupture du contrat d’agent commercial nourrit le contentieux et enrichit la pratique contractuelle. Un nouvel exemple nous est donné par l’arrêt en référence. Une société de droit italien a pris l’initiative de rompre son contrat d’agence commerciale et de solliciter le paiement de l’indemnité de fin de contrat considérant que cette prise d’acte était justifiée par des circonstances imputables à son mandant français (combinaison des articles L134-12 et L134-13 C. com). L’agent invoque, tout d’abord, la décision du mandant de mettre fin aux relations commerciales développées par son intermédiaire avec un client important. En réponse, le mandant justifiait cette rupture par la violation des obligations du client qui commercialisait les produits contractuels auprès de grossistes et non exclusivement auprès des particuliers, comme le stipulait le contrat. La Cour d’appel reçoit cet argument au motif que « si le client représentait une part importante des commissions de l’agent, et si en conséquence la décision du mandant allait indiscutablement diminuer sensiblement le niveau de la rémunération… cette seule considération ne saurait faire obstacle au droit qu’avait – le mandant – de veiller au respect de sa politique commerciale et de se séparer des clients dont il était établi qu’ils la mettaient en péril ». Le droit pour l’agent au maintien de ses commissions s’efface donc devant la liberté du mandant d’organiser et de contrôler son réseau de distribution. Le contrat d’agent pourra à cet effet préciser utilement la clientèle cible du mandant et l’organisation de son réseau de distribution (exclusivités concédées ; revente aux consommateurs notamment). La demande, plus habituelle, fondée sur la modification unilatérale du taux de commissions par le mandant trouve un écho plus favorable (cf. LD avril 2014). Le mandant, anticipant un développement rapide de son chiffre d’affaires, et donc des commissions de son agent, souhaitait en effet instaurer de nouveaux paliers déclencheurs des rémunérations variables. Plusieurs propositions de modifications ont ainsi été adressées par mail à l’agent, que ce dernier a négociées et pour lesquelles il a précisé dans son dernier mail : « OK. Merci de m’envoyer par poste l’avenant en original signé au fin de vous le retourner signé de ma part ».
Le mandant considérait donc que cette réponse valait accord de l’agent sur les nouvelles contreparties financières. Pour la Cour au contraire, ce seul mail, en l’absence d’avenant retourné signé, ne saurait caractériser son accord. Ce faisant, « la modification des conditions financières – de l’agent – a donc résulté de la seule décision – du mandant – qui a entendu l’imposer – à l’agent –», peu important que ces dernières aient eu un impact financier différé dans le temps. En conséquence, et pour ce seul motif, la cessation du contrat à l’initiative de l’agent est imputable au mandant. La solution aurait pu être toute autre si les parties s’étaient laissé la possibilité de modifier le contrat par échanges de mails, de télécopies ou de courriers. La question de l’imputabilité tranchée, la Cour en tire des conséquences classiques en termes d’indemnités : indemnité de fin de contrat de deux années de commissions calculées sur la moyenne des deux dernières années alors que l’agent sollicitait quatre années de commissions compte de la durée des relations et de l’exclusivité à sa charge ; indemnité substitutive du préavis contractuel (supérieur au préavis légal) à calculer en référence à la moyenne des deux dernières années et non de la dernière année de commissions pourtant plus favorable à l’agent. Enfin, relevons une demande d’indemnisation liée au régime social Italien spécifique aux agents commerciaux (régime applicable aux relations entre agents italiens et mandants italiens ou étrangers disposant d’un établissement dans le pays). Considérant que le mandant n’avait pas réglé les cotisations sociales obligatoires auprès de l’organisme de recouvrement (ENASARCO), l’agent sollicitait la réparation de ce préjudice. La Cour, pour rejeter cette demande, relève que l’agent avait contractuellement garanti à son mandant « qu’aucun accord ni aucune autorisation ou enregistrement n’est nécessaire pour ou la suite de la signature du présent contrat ». Ainsi, l’agent ne saurait reprocher à son mandant cette carence dès lors qu’il avait assuré contractuellement qu’aucune formalité en lien avec son activité ne devait être effectuée. Cette solution rappelle au rédacteur de contrats internationaux la nécessité de mettre à la charge du partenaire étranger, censé disposer de la connaissance du droit local, l’obligation de renseigner son mandant ou fournisseur français quant aux obligations légales qui lui incombent au titre de son activité, de la réglementation produits, des autorisations et taxes y afférentes.
Aymeric LOUVET