Cass. com., 28/09/22, n° 19-19.768 [Cooper c/ Pyxis Pharma-Sagitta Pharma ]
Faits
Les structures de regroupement à l’achat (SRA) et les centrales d’achat pharmaceutiques (CAP) ont été instituées par le législateur afin de permettre de développer les ventes directes par les laboratoires pharmaceutiques aux pharmacies d’officine, avec pour objectif de faire cesser les pratiques de rétrocession illicites entre pharmacies, tout en faisant baisser les prix des médicaments non remboursables et développant incidemment l’automédication. Les laboratoires n’ayant pas suffisamment favorisé ces structures dans la construction de leur offre tarifaire, les pharmaciens ont continué à avoir recours aux rétrocessions illicites.
C’est dans ce contexte que naît le contentieux initié par la société Cooper (ci-après « Cooper ») qui reprochait à Pyxis (SRA) et Sagitta Pharma (CAP intervenant comme prestataire logistique) de bénéficier de rétrocessions illicites. Reconventionnellement Pyxis et Sagitta ont reproché à Cooper, sur les fondements des articles L441-6 et L442-6 I 9°) du Code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause, de leur refuser le bénéfice de ses conditions catégorielles « officine », et de les soumettre à ses conditions « grossistes » moins favorables. En effet, Cooper avait construit une politique commerciale différenciée autour de trois catégories de clients, les officines indépendantes, les officines groupées et les grossistes.
Le Tribunal et la Cour d’appel ont accueilli les demandes de la société Cooper, mais, la Cour d’appel de Paris (Paris, 4 juill. 2019, n° 125/14522, LD Sept 2019, comm. K. Biancone) statuant sur renvoi après cassation (Cass. Com. 29 mars 2017 n° 15-27811, LD avr.2017, comm. JM Vertut), avait procédé à une analyse précise du cadre légal, de la politique commerciale catégorielle de Cooper, et des relations entre le laboratoire, la SRA/CAP et les officines pour en conclure que le statut de commisionnaire revêtu par Pyxis, la différenciait d’un grossiste puisque le transfert de propriété des produits s’opérait dans le patrimoine de l’officine. En conséquence, au regard de la politique commerciale catégorielle de Cooper, Pyxis et Sagitta devait être traitée comme l’« officine » d’ordre et pour compte elle agissait.
Cooper forme un pourvoi en cassation, demandant en substance à la Cour de qualifier l’intervention de Pyxis au regard de sa relation avec le laboratoire fournisseur, agissant comme intermédiaire opaque, et non pas au regard de sa relation avec les officines. En outre, elle reprochait à la Cour d’appel de l’avoir condamnée pour non communication de ses conditions générales de vente, ce alors même qu’elle avait communiquée à Pyxis les conditions officines, mais avait refusé de les lui appliquer, ce qui relevait d’une pratique discriminatoire non condamnable per se.
Problème
Une SRA intervenant d’ordre et pour compte d’officines, facturée par le laboratoire fournisseur mais agissant comme mandataire des officines pour négocier et conclure les conditions de la négociation commerciale, se rapproche-t-elle le plus de la catégorie des grossistes ou des officines indépendantes pour l’application des conditions catégorielles de vente ? Le cas échéant, le laboratoire qui a communiqué les conditions mais a refusé d’appliquer les conditions catgéorielles applicable aux officines a-t-il enfreint l’article L 442-I 9°) du Code de commerce (applicable au moment des faits) ?
Solution
La Cour valide la décision de la Cour d’appel jugeant que :
« L'arrêt en déduit que la société Pyxis Pharma agit vis-à-vis de la société Cooper en qualité de commissionnaire à l'achat, qu'elle constitue un opérateur intermédiaire entre le laboratoire et les officines adhérentes, dont elle est le mandataire, lesquelles acquièrent directement la propriété des produits acquis d'ordre et pour leur compte par la SRA. De ces énonciations, constatations et appréciations, abstraction faite de son appréciation surabondante du caractère subjectif du critère de la relation privilégiée, la cour d'appel qui, analysant exactement les relations des parties dans leur ensemble, a souverainement retenu, d'une part, qu'il existait une relation directe entre la société Cooper et les officines de pharmacies passant leurs commandes par l'intermédiaire de la société Pyxis Pharma, d'autre part, que celles-ci supportent, comme les officines commandant directement, des charges de stockage, a pu, sans encourir les griefs inopérants des neuvième, dixième et onzième branches, déduire que la société Pyxis Pharma était fondée à solliciter la communication des conditions générales de vente de la société Cooper accordées aux officines indépendantes, acheteurs dont elle se rapprochait le plus au regard des trois catégories établies par la société Cooper dans son modèle de distribution, et leur application comme socle de la négociation commerciale ».
[…] Il résulte de la combinaison de [l’article L 441-6 et L 442, I 9°) du Code de commerce applicables à l’époque des faits] que la personne assujettie à ces obligations doit communiquer les conditions générales de vente applicables à tout acheteur de produits ou demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle et que, si sauf abus de droit, il est toujours libre de ne pas lui vendre, il est tenu, lorsqu'il entre en négociation commerciale avec cet opérateur, de le faire sur la base de ces conditions de vente.
La société Cooper n'ayant pas prétendu qu'usant de sa liberté, elle avait refusé de vendre ses produits à la société Pyxis Pharma, fût-ce aux conditions revendiquées par celle-ci, mais ayant admis au contraire qu'elle lui avait proposé d'entrer en négociations, en vue d'un partenariat, sur la base des conditions de vente applicables aux grossistes, ce que cette société avait refusé, c'est à bon droit qu'ayant retenu que ces conditions de vente n'étaient pas celles qui étaient applicables à la société Pyxis Pharma, la cour d'appel en a déduit que la société Cooper avait méconnu les dispositions précitées et avait ainsi engagé sa responsabilité. »
Analyse
S’agissant de l’application des conditions catégorielles de vente
La construction catégorielle ne peut être opportuniste, elle doit répondre à des « critères objectifs », qui « ne créent pas un déséquilibre signatificatif, une entente anticoncurrentielle ou un abus de position dominante ». Pour autant, une fois établie, elle est opposable à celui qui s’en prévaut.
En l’espèce, on pourrait penser de prime abord que la Cour de cassation, confirmant l’arrêt d’appel, prend position pour favoriser les flux négociés par les CAP/SRA auprès des laboratoires, ces derniers souhaitant contourner ce type d’acteur pour favoriser les ventes directes. Pourtant, bien que la solution puisse être juridiquement discutée d’un point de vue de l’analyse des relations, le commissionnaire opaque pouvant apparaître du point de vue du fournisseur, comme un acheteur/revendeur, il semblerait que soit en cause la construction catégorielle de Cooper qui ne disposait pas de conditions dédiées aux CAP/SRA.
En effet, dans une autre affaire opposant Pyxis Pharma (devenue Mon courtier en pharmacie) / Sagitta Pharma et le laboratoire BMS, la Cour d’appel de Paris (Paris, 2 juin 2021, RG n° 16/22966, LD juill/août 2021, comm. KBiancone) a fait droit au refus du laboratoire d’appliquer les conditions catégorielles officines, car il avait, quant à lui, établi une catégorie dédiée aux CAP/SRA. La Cour, pour valider cette catégorie, a jugé que la SRA se différenciait objectivement de l’officine, car elle agit en son nom propre. En outre, la Cour a souligné le caractère « global » des négociations opérées avec la SRA « dans le cadre d’une relation contractuelle dans laquelle le fournisseur ne s’engage qu’à l’égard de la la SRA ».
S’agissant de l’application de l’infraction de non communication des conditions générales de vente [article L 441-6 et L 442, I 9°) du Code de commerce applicables à l’époque des faits]
Il est particulièrement intéressant de souligner que la Cour de cassation juge que l’infraction susvisée est applicable lorsque le fournisseur, bien qu’ayant communiqué l’ensemble des conditions catégorielles, entre en négociation sur la base de conditions catégorielles dont ne relève pas le demandeur.
En effet, l’entrée en négociation induit l’application des conditions générales catégorielles légalement applicables au demandeur. Dans le cas contraire, l’infraction de non communication serait constituée. Quelle serait alors la stratégie d’un fournisseur ne souhaitant pas contracter ? Au regard du texte actuel (L 441-1 du Code de commerce) le fournisseur qui a établi des conditions générales de vente doit les communiquer à tout acheteur qui en fait la demande pour une activité professionnelle. Une fois les conditions communiquées, le fournisseur devrait donc refuser toute entrée en négociation, ce qui signifie n’engager avec l’acheteur aucune discussion quant à son appartenance à une catégorie.
La pratique fait aujourd’hui l’objet d’une amende administrative à hauteur de 15 000 € pour une personne physique et 75 000 € pour une personne morale sur le fondement de l’article L 441-1 du Code de commerce mais pourrait également être condamnée au titre d’une pratique restrictive de concurrence applicable aux négociations, telle le fait de tenter d’obtenir un avantage sans contrepartie (L 442-1 1 1°) du Code de commerce) ou celui de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre signatificatif dans les droits et obligations des parties L 442-1 1 1°) du Code de commerce).