La Société Goéland n°1 (ci-après « Goéland 1 ») cède à une Association, qui gère des établissements pour personnes souffrant d’un handicap mental (ESAT), le matériel et l’enseigne « Vent du Sud » pour lui permettre de fabriquer et commercialiser notamment des savons. En contrepartie, l’Association mandate Goéland 1 à titre d’agent commercial exclusif sur une grande partie des départements français, exception faite des clients pour des produits issus de son réseau de personnes handicapées. Un contrat est conclu à cet effet. Goéland 1 en liquidation judiciaire, le fils du gérant crée une société éponyme disposant du même logo (ci-après « Goéland 2 »). Un avenant est par la suite conclu avec l’Association pour étendre le champ de l’exclusivité. Par la suite, considérant que l’exclusivité n’est pas respectée et que toutes les commissions ne lui ont pas été réglées, Goéland 2 prend acte de la rupture du contrat et saisit le tribunal pour obtenir un rappel de commissions et l’indemnité de fin de contrat.
Problématique n°1 - Le mandant affirme ne pas avoir été informé de ce changement de société et ne pas avoir agréé la reprise du contrat d’agent commercial par Goéland 2. Ce faisant, l’action est-elle recevable ?
Solution - Analysant la relation entre l’Association et Goéland 2, la Cour infirme cette décision. Elle précise tout d’abord que ni les dispositions légales ni le contrat d’agent commercial n’exigent que « l’agrément par le mandant d’un tiers venant se substituer à l’agent commercial soit express et formalisé par écrit. Cet agrément peut donc être tacite ». Or, l’Association avait poursuivi sa collaboration avec Goéland 2 alors même que le gérant et l’adresse avaient changé, le numéro RCS avait été modifié, l’Association avait traité et signé un avenant avec le fils, qui n’était pas son interlocuteur habituel. Ce faisant, pour la Cour, l’Association ne pouvait ignorer la situation nouvelle dès lors qu’elle a poursuivi sa collaboration sans réserve pendant plus de deux ans avec le nouvel agent. Cette poursuite en connaissance de cause des relations commerciales s’analyse pour la Cour en un agrément tacite du successeur. L’action de Goéland 2 est donc jugée recevable.
Observation - L’article L 134-13 alinéa 3 prévoit de façon négative la possibilité pour l’agent commercial de céder son contrat avec l’accord du mandant. Cet article concerne en effet les cas dans lesquels l’indemnité de fin de contrat n’est pas due. Néanmoins, cette disposition est d’ordre public (art. L 134-16) ce qui consacre la patrimonialisation de la « carte » de l’agent. En reconnaissant la possibilité d’un agrément tacite de l’acceptation du successeur, la Cour se place dans la sillage de décisions anciennes (C.Cass 27/11/2001 n°98-18.700) régulièrement confirmées (Paris 21/06/2018 n°16/06.004). Encore faut-il qu’il s’agisse d’une poursuite éclairée des relations. La solution sous commentaire peut ainsi être mise en perspective avec une décision rendue pour des faits similaires, le représentant légal assurant à titre personnel la poursuite des relations d’agence alors que sa société d’agence était en liquidation judiciaire. Dans cette affaire, la modification de la présentation des factures et les changements affectant son identification ont été jugés insuffisant « à caractériser l’information de son cocontractant de ce que l’agent commercial en titre, c’est-à-dire la société, était en redressement puis en liquidation judiciaire et qu’il poursuivait à titre personnel ». Cette opacité des conditions de reprise d’activité « sans un acte de cession régulier était possiblement constitutive d’un détournement et d’une cession illicite pour défaut de capacité à agir ».
Problématique n°2 - la rupture du contrat est-elle imputable à l’agent qui a pris acte de la rupture ?
Solution - La Cour rappelle tout d’abord les termes de l’article L 134-13-2° du Code de commerce : l’indemnité n’est pas due à l’agent à l’origine de la rupture sauf circonstances imputables au mandant. Goéland 2 avait ainsi pris soin de lister un inventaire à la Prévert des griefs reprochés à l’Association au sein de son courrier de rupture. Sans les reprendre un par un la Cour s’attarde sur le non-respect de l’exclusivité. Cette dernière relève ainsi qu’une société commerciale avait été mandatée par l’Association pour intervenir en qualité d’agent commercial pour les mêmes produits et le même secteur que Goéland 2. L’argument du mandant selon lequel Goéland 2 avait connaissance de cette intervention est sans effet, la Cour considérant que cette société ne peut être assimilée à un ESAT, seule exception à l’exclusivité concédée à l’agent. Ce d’autant que Goéland 2 avait appris l’intervention de cet agent par erreur. Pour ce seul motif, la rupture est donc imputable au mandant qui doit régler les commissions demandées ainsi que l’indemnité de fin de contrat.
Problématique n°3 - L’indemnité due à l’agent doit-elle être fixée à 2 ans de commission calculée sur la moyenne des trois dernières années ?
Solution - Après avoir fait référence à cette pratique postérieure, et non à un usage (Droit de la distribution : Nicolas et Didier Ferrier, Lexis nexis p 127), la Cour rappelle qu’il ne lie pas le juge et précise que le préjudice lié à la rupture du contrat s’apprécie au regard de la durée du mandat auquel il est mis fin. Durée qui posait ici difficulté : prise en compte de la première période des relations avec Goéland 1 ou point de départ de ces dernières à la prise de fonction de Goéland 2 ? Considérant l’absence de disposition particulière relative à la reprise de l’ancienneté des relations avec Goéland 1, la Cour opte pour la deuxième hypothèse et limite la durée des relations à 30 mois d’activité. Cette courte durée, alors même que Goéland 2 « n’a fait que poursuivre une mission dont l’initiative et la création résultait du travail de son prédécesseur », a pour conséquence la livraison de l’indemnité à 6 mois de commission.