CA Lyon, 15 décembre 2022, n°19/02747, Gifetal Aluminium / M. [O]
Faits – Un agent commercial présente un successeur à son mandant et souhaite céder son contrat. S’en suit un temps d’échanges, des demandes de modifications réciproques du contrat et un refus du mandant. En réponse, l’agent considère ce refus fautif, prend acte de la rupture aux torts du mandant et sollicite le règlement de l’indemnité.
Problème 1 – La question de l’imputabilité de la rupture, et de ses conséquences, est donc posée.
Pour le mandant, le refus d’agréer est justifié dès lors que le successeur a tenu des propos agressifs envers lui et qu’il ne disposait d’aucune expérience et d’aucune connaissance des clients. Autrement dit, ce refus était justifié et la rupture exclusivement imputable à l’agent qui ne peut donc prétendre à l’indemnité. L’agent de son côté considère que ce refus, en apparence motivé, est en réalité provoqué par son refus et celui de son successeur, d’accepter des modifications substantielles du contrat d’agence.
Solution – La Cour d’Appel rappelle d’abord que « l'exercice effectif du droit de céder peut se heurter au refus opposé par le mandant seulement s'il est justifié par des motifs légitimes et sérieux tenant à la personne du successeur et non à celle du cédant. A défaut de tels motifs, le mandant est considéré comme étant à l'origine de la fin des relations contractuelles... ». Mais avant d’analyser la légitimité des motifs invoqués, la Cour relève qu’aussi bien l’agent que le mandant « ont souhaité apporter des modifications conséquentes au contrat initial » à l’occasion de la cession du contrat. Autrement dit, l’imputabilité de la rupture pourrait se loger dans les interstices de ces demandes. L’agent – pour mieux valoriser son contrat – a ainsi demandé au mandant de modifier son territoire actuel et de l’assortir d’une exclusivité. Ce à quoi le mandant s’est toujours opposé. Demande qui caractérise donc « une modification substantielle de l’équilibre contractuel initial, dès lors qu’elle correspond à un quasi doublement du secteur géographique », l’agent ne démontrant pas qu’il s’agissait de « la consécration écrite d’une pratique commune des parties mise en place depuis plusieurs années ».
A ce stade de l’analyse, l’agent parait avoir provoqué la rupture. Mais le mouvement de balancier de l’imputabilité va s’inverser dès lors que le mandant a lui aussi souhaité imposer - en réponse - des modifications du contrat, à savoir : baisser le taux de commission et exclure un client essentiel de la clientèle de l’agent. Or, ces demandes ont été « tardives », « à un stade très avancé des pourparlers ». Surtout l’exclusion du client entrainait « un bouleversement dans l’équilibre contractuel, car celui-ci représentait une part très conséquente du chiffre d’affaires ». Ce faisant, le retrait du client « ne pouvait qu’aboutir à la remise en cause du principe même de la cession du contrat, eu égard à la perte très importante de chiffre d’affaires qu’une telle exclusion induisait ». Ce qui explique en conséquence le « vif mécontentement » du successeur. Son comportement – dans de telles circonstances – « ne saurait constituer à lui seul un motif légitime de refus d’agrément ». Enfin, l’argument soudain selon lequel ce successeur « ne connaitrait absolument pas son type de clientèle » est lui aussi inopérant. En conséquence, le mandant « a fait entrave à la cession en tentant d’imposer une modification substantielle qui remettait en cause l’équilibre contractuel et en opposant ensuite un refus illégitime de l’agrément ». La rupture lui est donc imputable.
Observations – En pratique, la présentation par l’agent d’un successeur - et donc son souhait de céder le contrat – est une situation délicate à gérer : l’agent souhaitant légitimement valoriser son contrat et le mandant étant a priori réticent à mandater un tiers qu’il n’a pas choisi. A ces considérations générales, s’ajoutait en l’espèce la volonté des parties d’obtenir une modification substantielle du contrat. La Cour aurait ainsi pu retenir une rupture du contrat aux torts partagés mais telle ne semble pas être la tendance des décisions récentes (CA Paris 05/05/21 n°19/15680 rupture aux torts partagés cassé par Cass. Ccom 16/11/22 n°21.18.491, LD décembre 2022 nos obs.). Mais il est vrai que le comportement du mandant n’incitait pas à l’équilibre : accord de principe donné après avoir reçu le CV du successeur, tentative de négociation de modifications, puis – le blocage constaté – découverte de l’incompétence professionnelle de ce dernier… Même si le mandant a été piégé par l’agent, qui le premier a voulu modifier le contrat, difficile après une telle volteface de justifier de raisons objectives et non arbitraires comme le requiert la jurisprudence (Cass. Com 15/01/13 n°11-27.298). La rupture lui est donc imputable. Les conséquences de cette imputabilité sont classiques : la condamnation du mandant au paiement de l’indemnité ici fixée à deux années de commissions calculée sur la moyenne des trois dernières années au vu de « la durée des relations (16 ans) ».
Problème n°2 – L’agent sollicite le règlement d’un arriéré de commissions sur les ventes conclues sur son territoire mais sans son intervention. Autrement dit, une demande au titre des commissions indirectes. Le mandant lui oppose la rédaction du contrat et l’absence de demande à ce titre pendant la durée des relations.
Solution – La Cour d’Appel relève d’abord une contradiction au sein même du contrat : une clause prévoyait en effet que : « cette commission est fixée à 8% sur le montant net des encaissements liés aux ventes hors TVA relatifs à toutes les commandes directes et indirectes concernant les produits référencés » ; une autre précisant « la commission sera due à l’agent dès lors que la vente aura été imputée parfaite, c’est-à-dire que l’acte commercial aura été réalisé par l’agent ». Autrement dit, tout à la fois l’application de l’article L134-6 du code de commerce (commissions directes et indirectes dues sur le territoire contractualisé) et la dérogation contractuelle possible à ces dispositions (commissions directes uniquement). La commune intention des parties (au sens des articles 1156 et 1161 du code civil antérieurs à l’ordonnance de 2016) doit être recherchée pour solutionner cette contradiction. Commune intention d’abord analysée au regard des autres stipulations contractuelles. Ainsi, la clause relative aux commissions post-contractuelles « va dans le même sens que le paragraphe 2 de l’article 6, à savoir un commissionnement dû à l’agent uniquement s’il a participé lui-même à la concrétisation de la vente ». Ensuite, une commune intention révélée par l’analyse détaillée des commissions, des factures et du comportement des parties. Chaque relevé comportait en effet « deux parties bien distinctes : la première dresse la liste des factures commissionnées, tandis que la seconde se rapporte aux factures non commissionnées ». Ce faisant, l’agent qui avait connaissance de ces affaires soustraites au commissionnement « ne démontre pas qu’au cours de l’exécution du contrat, il aurait à un quelconque moment contesté les modalités de calcul de ses commissions ». Et la Cour d’en conclure que « les parties s’étaient accordées sur le fait que seules les opérations dans lesquelles l’agent est personnellement intervenu ouvraient droit à un commissionnement ».
Observations – Cette solution est classique et fait écho à d’autres décisions antérieures relatives à des demandes similaires d’agents commerciaux (Cass. Civ. 06/01/98 n° 96-12.844 ; Cass. Com. 14/04/21 n°19-18.222).