Taux modifié, taux accepté : les dessous de l’imputabilité
Ch.Com Cour Cass. 4 février 2014 n°12-14466
La rupture formelle d’un contrat d’agent commercial doit être distinguée de l’imputabilité de celle-ci. Les effets de cette distinction ne sont pas négligeables.
L’agent qui a pris acte de la rupture pour des faits imputables au mandant peut en effet prétendre à l’indemnisation de fin de contrat alors que le mandant voit ses demandes rejetées au titre de l’absence de préavis de rupture.
Telle est la solution retenue par la Cour de Cassation le 4 février 2014.
Comme bien souvent en matière d’agence commerciale, se cachait derrière la question de l’imputabilité de la rupture la modification du taux de commission par le mandant et son acceptation par l’agent. Acceptation dont on sait qu’elle peut être expresse ou tacite.
Or, cette révision à la baisse, généralement pour permettre au mandant de s’adapter aux évolutions du marché, à la compression de ses marges voire pour répondre efficacement à des opérations promotionnelles ponctuelles, ne fait le plus souvent l’objet d’aucun avenant écrit spécifique signé par les parties.
C’est donc sur le terrain mouvant de l’implicite que se traite cette problématique.
Dans l’arrêt d’espèce, le mandant avait informé par courrier son réseau de la modification du taux; courrier qui avait été signé par l’ensemble des agents. Ces derniers précisant, semble-t-il, qu’ils attendaient en contrepartie que les prix pratiqués en France soient identiques à ceux des autres pays.
Dans les semaines qui ont suivi, l’un d’entre eux a dénoncé le contrat pour modification unilatérale du taux de commission. Argument qu’il a par la suite soulevé reconventionnellement et qui a été retenu de façon assez laconique aussi bien par la Cour d’Appel que par la Cour de Cassation. Certainement faut-il voir dans l’acceptation sous conditions et dans la réaction immédiate de l’agent récalcitrant, la justification de cette solution.
Pour autant, l’absence de réaction de l’agent suffirait-elle à caractériser son acceptation ?
La lecture de certaines décisions, retenant l’acceptation tacite de la modification, pourrait le laisser à penser : « le taux modifié a été appliqué pendant près de deux ans sans réaction de la part de l’agent » (CA Paris 23 Mai 2013 n°10/23020).
Toutefois, les demandes de rappel de commissions sont généralement écartées lorsque le mandant démontre que « ces taux réduits figuraient sur les relevés de commissions, étaient stables, différenciés et constants pour certains clients…ont perduré dans leur durée » (CA Rennes 24/09/2013 n°327, 12/01040).
Décision qui semble faire écho à l’arrêt de la Cour de cassation du 15 mai 2007 : « recevait … des relevés sur lesquels étaient indiqués le montant du chiffre d'affaires … précisant son taux de commission, et qu'à réception de ces pièces, il établissait une facture ….en disposant de toutes les informations nécessaires sur la base du taux proposé par le mandant pendant plusieurs années et sans émettre aucune protestation » (RLDA 2008/24, no 1490, Ph. Grignon).
Ce faisant, l’aléa inhérent à l’acceptation tacite de la révision des commissions, et les enjeux financiers qui en découlent, doit inciter les mandants à prévenir ces risques, soit par un recours plus régulier à la pratique de l’avenant, soit si l’activité ne le permet que difficilement en explorant d’autres pistes : éviter toute stipulation contractuelle renvoyant à une modification écrite du contrat par voie d’avenant ; adapter et intégrer au contrat les spécificités liées à l’activité, aux clients, aux négociations, aux opérations promotionnelles ponctuelles et donc à l’évolution tacite possible des commissions ; limiter au sein du contrat initial le périmètre des produits, des clients, du secteur pour pouvoir proposer par la suite des commissions minorées nouvelles en élargissant ledit périmètre contractuel (CA Aix-en-Provence 21/03/2012 n°2012-005437); faire apparaître le taux révisé distinctement sur les éléments sur la base desquels le montant des commissions a été calculé (article R 134-3 Code de Commerce) le taux modifié.
La question de l’imputabilité n’en sera pas pour autant définitivement réglée mais pourrait être, à tout le moins, discutée.
Aymeric LOUVET