Uby (et urbi) : pas de bénédiction pour les pratiques visant à imposer les prix de vente des vins sous IGP Côtes de Gascogne
Décision n° 24-D-07 du 17 juillet 2024 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins sous IGP Côtes de Gascogne
L’Autorité de la concurrence sanctionne des pratiques de prix de vente imposés dans le secteur de la commercialisation de vins sur le fondement de preuves directes et indirectes
The French Competition Authority sanctions practices relating to resale price maintenance in the wine marketing sector on the basis of direct and indirect evidence
Faits. Suite à une enquête de la brigade interrégionale PACA sur le marché des vins sous IGP Côtes de Gascogne, l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office en 2019 de pratiques d’imposition de prix de revente mises en œuvre par le Domaine Uby. Ce domaine – qui commercialise sa production mais également du vin de négoce ainsi que des Armagnacs – diffusait des prix de vente conseillés à ses revendeurs pour sa gamme « Uby » et s’assurait, via ses documents contractuels et une surveillance accrue, de leur application. Le Domaine Uby justifie ces pratiques par le dumping sur ses produits mis en œuvre par certains des cavistes alors même que des investissements importants avaient été engagés. Acceptant néanmoins de ne pas contester les griefs, celui-ci bénéficie de la procédure de transaction et est condamné à une amende de 500.000 euros.
Solution. S’agissant des preuves directes. L’Autorité s’intéresse aux pratiques contractuelles du Domaine Uby et relève d’abord qu’au sein des grilles tarifaires – communiquées à l’ensemble des revendeurs – les mentions suivantes apparaissent : « PV TTC conseillés particuliers – Correspondent à des tarifs minimums à appliquer à la bouteille » ; « gamme strictement réservée au secteur traditionnel sous respect des prix de vente minimums conseillés ». Les fiches d’ouverture de compte, spécifiquement dédiées aux cavistes, intègrent par ailleurs une section (« Acceptation des conditions ») au titre de laquelle ces derniers s’engageaient à appliquer ces prix. Quant aux autres revendeurs (grossistes, revendeurs en ligne), même si ces derniers communiquaient leurs propres contrats et ne signaient pas la fiche d’ouverture de compte, « les listes de prix qui leur étaient communiquées contenaient toutefois également des mentions relatives aux prix de revente minimums ». Ce faisant, pour l’Autorité, ces éléments constituent des preuves documentaires directes qui permettent d'établir l'existence d'un accord de volontés entre le Domaine Uby et ses revendeurs, et donc une entente.
S’agissant des preuves indirectes. L’Autorité rappelle à titre liminaire qu’elle n'est « pas tenue de réunir un faisceau d'indices articulé en trois branches pour démontrer l'existence d'une entente verticale sur les prix lorsqu'elle dispose d'indices documentaires ou comportementaux qui viennent établir, d'une part, l'invitation du fabricant et, d'autre part, l'acquiescement des distributeurs à la pratique litigieuse »
Elle s’intéresse néanmoins à la surveillance, au contrôle et à l’application des prix. Ainsi, pour conclure au caractère généralisé de cette surveillance, les déclarations « de plusieurs distributeurs » et des courriels démontrant la surveillance directe par le fournisseur sont retenus. Surveillance qui s’exerçait notamment par le biais de courriels adressés par l’agent commercial exclusif du fournisseur aux grossistes (« [N]ous te renouvelons le fait que les tarifs de revente Uby sont trop bas. […]Une augmentation de tarif progressive devait se mettre en place. […] Nous veillons à ce que TOUS nos clients, dont les sites de vente en ligne, respectent nos prix de vente conseillés.»). Les revendeurs eux-mêmes participaient à la police du réseau en informant le fournisseur des promotions initiées par d’autres revendeurs. Quant aux menaces et sanctions en cas de non-respect, l’Autorité considère qu’elles sont démontrées par la présence d’une clause de pénalités au sein des fiches d’ouverture de compte : « 300% du prix produit en cas de revente de la gamme Uby en grande distribution ». En effet, même si cette « clause ne visait pas explicitement le respect par les revendeurs du niveau de prix de revente », les explications du dirigeant lors de son audition – quant au délai de mise en conformité des pratiques – démontraient le lien entre le respect des prix minimum et cette possibilité de sanction.
Quant à l’application effective des prix de revente, elle est démontrée par référence : aux relevés de prix effectués et aux déclarations voire aux courriels de revendeurs (« vous m’avez fait signé [sic] un contrat dans lequel je m’engageais à ne plus revendre à des grossistes, à la GMS et en respectant des prix de vente consommateur afin d'avoir des prix cohérents à ceux du domaine »). Ce faisant, l’accord de volonté – visant à appliquer les prix minimums diffués pendant une période de trois ans – est démontré, ce qui caractérise une restriction de concurrence par objet.
Observations. Cette condamnation de prix de vente minimum imposé aux revendeurs – pendant une durée de trois ans – est classique (restriction caractérisée au sens de l’art.4 Règlement 2022/720). Ces prix étaient ici imposés par le biais de dispositions contractuelles donc par « des moyens directs » (point 186 Lignes directrices 2022/C 248/01), la preuve de l’entente était donc caractérisée sans autre analyse nécessaire. L’Autorité s’intéresse néanmoins aux « moyens indirects » (point 187) permettant de démontrer l’entente. Le standard de preuve utilisé, s’agissant de ces preuves indirectes, renvoie aux décisions et débat récents relatifs à l’abandon du faisceau d’indices articulé en trois branches pour y préférer la preuve, par tous moyens, d’une invitation du fournisseur à pratiquer des prix imposés et l’acceptation de cette invitation par les distributeurs (Aut. Conc. n° 20-D-20, 3/12/2020 « Dammann Frères » – LD 01/2021 obs. K. Biancone ; n° 20-D-04, 16/03/2020 et CA Paris 6/10/2022, RG n° 20/0858 « « Apple »; n°23-D-13, 23/12/2023, Rolex). Ce type d’entente verticale est, en tout état de cause, rarement sanctionné dans le secteur vitivinicole. Plus fréquemment en revanche, l’Autorité s’intéresse aux consignes données par des organismes professionnels de producteurs désireux d’obtenir une hausse voire une stabilisation des cours et sanctionne ces pratiques au titre des ententes horizontales (Aut. Conc. 18-D-06 du 23 mai 2018 « AOC des Côtes du Rhône », 20-D-12 du 17 septembre 2020 « Vins d’Alsace »).
La décision effleure en outre un sujet (sans le traiter) en pratique rencontré fréquemment : la réservation d’une gamme de vins à une catégorie d’acheteurs et donc l’exclusion d’autres catégories. Par exemple, s’agissant d’une gamme premium (en raison de sa notoriété, de son prix, des faibles allocations y afférentes) que le producteur ne voudra pas vendre (et voir revendue) à la grande distribution. Tel était ici l’objectif expressément assigné à la clause de pénalité acceptée par les cavistes « Uby » lors de l’ouverture de leur compte. Interdiction de revente à ce canal de distribution par ailleurs confirmée par des déclarations de revendeurs. Cet engagement contractuel est envisageable s’il est fondé sur un réseau de distribution sélective organisé sur la base de critères objectifs qualitatifs et/ou quantitatifs (distribution sélective assez rare dans le secteur vitivinicole). Sans quoi cette pratique est illicite (Cass.com. 18/12/2012, n°11-27.342, « Guigal ») et constitue une restriction caractérisée de concurrence (art 4 (d) du Règlement précité).
Enfin, même s’il s’agit d’une restriction de concurrence par objet, l’imposition de prix minimum de revente n’exclut pas une exemption individuelle au sens de l’art. 101 paragraphe 3 du traité (point 195 Lignes Directrices). Or, les pratiques de « dumping » de certains revendeurs dénoncés par le Domaine Uby pourraient permettre – sous conditions strictes – de justifier cette pratique. L’objectif est en effet d’éviter que la technique du produit d’appel « nuise à l’image de marque du produit et, à terme, réduise la demande globale du produit et affaiblisse l’incitation du fournisseur à investir dans la qualité et l’image de marque » (point 197- c - Lignes directrices). Mais encore faut-il pouvoir prouver le caractère isolé et justifié de cette pratique, sans quoi aucune bénédiction concurrentielle ne sera possible…
A. Louvet