Violation d’un accord de coexistence de marques ? Réponse sur le terrain de la contrefaçon et de la concurrence déloyale, et non sur celui du droit des contrats
Cass. com. 10 février 2015, pourvoi n°13-24979
La question des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale du fait du non-respect d’un contrat est régulièrement traitée par les tribunaux. Plus rares sont les décisions abordant cette question suite au non-respect d’un accord de coexistence de marques. Dans la décision sous commentaire, un laboratoire spécialisé dans la fabrication de préparations pharmaceutiques était titulaire des marques françaises et communautaires « Lehning » et avait conclu un accord de coexistence de marques avec une société qui commercialise des produits pour les animaux sous la marque « Lehring Naturellement Efficace ». Après avoir constaté que le terme « Lehring » apparaissait toujours en gros caractères sur le site internet postérieurement à la conclusion de l’accord, le laboratoire a saisi les tribunaux pour obtenir la résolution de l’accord ainsi que la réparation des préjudices subis au double fondement rappelé ci-dessus. La Cour d’appel de Paris, après avoir analysé les obligations contractuelles des parties, écarte ces demandes considérant que les engagements avaient « globalement été respectés » dès lors que les documents commerciaux et le site avaient été modifiés concomitamment à la signature de l’accord et que « la persistance du terme « Lehring » en plus gros caractères sur son site Internet jusqu’en 2012 ne constituent pas des fautes d’une gravité suffisante pour justifier le prononcé de la résolution de l’accord de coexistence conclu entre les parties en 2008 ni constituer des actes de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale ». Ce faisant, les magistrats d’appel privilégient une analyse contractuelle pour rejeter la demande de résolution, et ce faisant l’action en contrefaçon et en concurrence déloyale.
Cet arrêt est censuré par la Cour de cassation dès lors que les magistrats d’appel n’avaient pas recherché : a) au titre de la contrefaçon « si, en raison de la similitude des marques en présence et des produits désignés à l’enregistrement, le non-respect des engagements contractuels constaté n’était pas de nature à engendrer un risque de confusion dans l’esprit du public » ; b) au titre de la concurrence déloyale « si en raison de la similitude des signes en présence et des activités exercées par les sociétés, l’emploi du terme « Lehring », en plus gros caractères… n’était pas de nature à engendrer dans l’esprit du public un risque de confusion avec la dénomination sociale, le nom commercial et le nom de domaine ». Ce faisant, la Haute Cour considère que c’est le terrain de la contrefaçon et de la concurrence déloyale qui aurait dû être labouré (risque de confusion au regard des marques, dénominations, enseigne notamment) et non le seul périmètre contractuel. Comme l’indique le Professeur CARON à propos d’une décision rendue dans un contexte similaire : « il ne faudrait pas, pour autant, considérer qu’il s’agit là d’un principe absolu. En effet, la violation d’un accord contractuel n’est une contrefaçon qu’autant qu’elle porte atteinte au monopole au regard des règles de droit applicables » (Com. Com. électronique n°7-8, juillet 2009, comm. 63). Dans un jugement récent (TGI Paris 6/11/2014, www.legalis.net), le Tribunal de Grande Instance de Paris met ainsi en exergue les effets de la « requalification » en litige contractuel (au sens de l’article 12 al. 2 C. proc. civ.) d’une action initiée sur le fondement de la contrefaçon. Le régime de la prescription peut s’avérer par exemple dévastateur (art. 2224 C. civ. et non délit continu)…
Aymeric LOUVET