1. MARQUES
1.1 Contrefaçon
Vin vendu par une enseigne de la grande distribution : contrefaçon pour marque d’appel
[CA Bordeaux, 18 mars 2021, n°18/03457]
La SCEA Regis Lavau et Fils, pour commercialiser ses vins estampillés « Château Bernateau », fait appel à un courtier et l’informe de son refus de voir ces vins vendus dans la grande distribution.
Elle reçoit une commande de bouteilles
« Château Bernateau » d’un négociant et apprend par la suite que ces dernières sont destinées à l’enseigne Lidl.
La SCEA Regis Lavau et Fils met donc rapidement un terme à la vente et refuse de livrer les bouteilles.
Constatant toutefois que Lidl diffuse des catalogues publicitaires sur lesquels apparaissent ses vins, ce producteur fait dresser un procès-verbal de saisie-contrefaçon puis assigne Lidl en contrefaçon de marque.
Son argument est le suivant : l’enseigne Lidl, en faisant la publicité de ses vins, alors qu’elle n’en détient pas en stock, s’est rendue coupable de la pratique de la « marque d’appel ». Cette pratique consiste, pour un commerçant, à mettre en avant une marque connue, sur un support publicitaire par exemple, afin de favoriser la vente d’articles d’autres marques.
Pour sa défense, Lidl fait valoir tout d’abord qu’elle a passé commande des bouteilles concernées en toute légalité et qu’elle n’a pas été informée par le négociant qu’elles ne pouvaient être vendues en grande distribution. De sorte qu’elle a édité son catalogue en prévision de la Foire aux vins.
Or, quelques jours avant, et en l’absence de livraison, elle a été informée par son vendeur du refus de vente du producteur. En outre, Lidl affirme avoir transmis immédiatement à ses plateformes régionales un « erratum » à faire figurer sur les catalogues.
Ces arguments sont écartés en première instance et en appel.
La Cour considère en effet que « LIDL ne pouvait proposer de tels produits à la vente puisqu’il résulte des écritures mêmes de l’appelante que la vente entre les parties ayant échoué, la livraison des bouteilles Château Bernateau n’a pas eu lieu. »
Comme le rappelle la Cour d’appel au sein de son arrêt, la pratique de la marque d’appel « est constituée lorsqu’un distributeur annonce à la vente des produits d’une marque alors qu’il n’en détient pas en stock ou qu’il en détient un nombre d’exemplaire insuffisant pour répondre à la demande normale de la clientèle, afin d’attirer cette dernière et lui proposer des produits d’une autre marque ».
Et, contrairement aux dires de Lidl, elle ne produisait aucun élément permettant de justifier qu’elle avait diffusé à l’ensemble de ses plateformes régionales des « erratum » destinés à corriger les informations erronées du prospectus.
Ce faisant, Lidl ne démontre pas la diligence dont elle a fait preuve pour faire cesser la publicité et informer le public que le vin n’était pas disponible.
Observations pratiques :
De nombreux producteurs ont récemment marqué leur mécontentement de voir leur vin premium vendu à grands renforts de publicité par la grande distribution à un prix jugé trop faible. Ces derniers s’interrogent sur la licéité de telles actions promotionnelles et les possibilités de refuser de vendre à la grande distribution.
L’action en contrefaçon de marque, lorsque le vin est utilisé comme marque d’appel, est un moyen d’y faire face.
Attention néanmoins à la stratégie commerciale retenue et aux contrats conclus avec les intermédiaires, grossistes et négociants pour parvenir à une telle segmentation des ventes.
L’interdiction de toute revente du vin concerné à la grande distribution peut en effet caractériser une entente anti-concurrentielle sanctionnée lourdement (amende jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires total de l’entreprise réalisé au cours de l’exercice social précédent pour les personnes morales).
Seul un réseau de distribution sélective au sein duquel « le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d'une manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, que les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution et que les critères définis n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire » (Affaire GUIGAL, Cass. Com., 18 décembre 2012, n° 11-27.342).
1.2 Nullité
CHATEAU LA ROSE BELLEVUE : respect de l’ordre public et du consommateur moyen
[INPI – NL 20-0054 du 23 juin 2021]
La EARL Vignoble Eymas et Fils est titulaire de la marque verbale CHATEAU LA ROSE BELLEVUE ; enregistrée en classe 33 pour les produits suivants : « Vins d’appellation d’origine contrôlée et provenant de l’exploitation viticole exactement dénommée “CHATEAU LA ROSE BELLEVUE” ».
Le propriétaire de parcelles situées au lieu-dit « Bellevue » forme une demande de nullité contre cette marque et fait valoir à cet effet que :
- Le signe est contraire à l’ordre public dès lors que « les marques domaniales qui couvrent des vins de producteur ne peuvent pas être détachés de l’exploitation ». Or, en l’espèce, le demandeur soutient que la marque contestée a été cédée au titulaire actuel alors que le foncier situé au lieu-dit « Bellevue » lui a été transmis.
En réponse, le titulaire de la marque contestée fait notamment valoir que sa marque contestée ne tient pas son nom du lieu-dit « Bellevue », mais est
« rattachée à l’exploitation viticole connue sous le nom “CHATEAU LA ROSE BELLEVUE”, nom choisi du fait que l’exploitation est située en surplomb et dispose d’une vue hors du commun sur l’estuaire de la Gironde ».
Cet argument s’avère efficace, l’INPI rejette la demande en nullité sur ce point dès lors que « le fait qu’un opérateur économique ait déposé une marque qui ne respecterait pas, selon les dire du demandeur, une jurisprudence constante rendue en matière vitivinicole ne saurait être qualifié d’atteinte à l’ordre public dans la mesure où il n’est pas démontré qu’un tel manquement serait contraire à la législation ou aux règles morales sociales garantissant les principes essentiels au bon fonctionnement de la société ».
- Le signe est de nature à tromper le public : selon lui, le vin ne provenant pas du lieu porté au cadastre, il ne peut pas en porter le nom. A défaut, il y a tromperie du consommateur su l’origine géographique du vin.
L’INPI écarte là aussi cet argument au motif que « le libellé des produits de la marque contestée rappelé au point 30 précise au jour du dépôt qu’il s’agit de "Vins d'appellation d'origine contrôlée et provenant de l'exploitation viticole exactement dénommée ‘CHATEAU LA ROSE BELLEVUE’".
En conséquence, la marque contestée respecte les dispositions législatives susvisées, sans qu’il soit nécessaire de rechercher comme le relève le titulaire de la marque contestée, une quelconque origine cadastrale du signe déposé. »
AYALA / ALALIA : nullité de la marque seconde
[INPI – NL 20-0020 du 15 avril 2021]
La société AYALA & CO, titulaire de la marque verbale AYALA, a formé une demande de nullité à l’encontre de la marque suivante :
Ø Sur la comparaison des produits et services
L’INPI relève que les produits de la marque contestée « Vins » et ceux de la marque antérieure « Champagnes » sont de même nature : boissons alcoolisées provenant de la fermentation du raisin frais ou du moût de raisin.
Également, ils sont vendus dans les mêmes magasins, les mêmes rayonnages de moyenne et grande surface et pareillement servis dans les restaurants et bars.
Enfin, ils « répondent aux mêmes habitudes de consommation » et sont concurrents.
Les produits sont, par conséquent, similaires.
Ø Sur la comparaison des signes
L’INPI relève que :
- Visuellement : la longueur des termes est proche et ils présentent la même suite de lettres A, AL et A dans le même ordre.
Et, ils forment une séquence visuellement proche caractérisée par la présence de trois lettres A, en attaque, en milieux et en fin de signe.
- Phonétiquement : les deux termes présentent un même rythme en trois temps, ne même sonorité d’attaque
« a » et des sonorités centrales et finales proches « la-lia » et « ya-la ».
De plus, il note la répétition dans les trois syllabes successives du son « a ».
- Intellectuellement : le titulaire de la marque a cherché à démontrer qu’il s’agit d’un patronyme courant en Espagne, et que la marque contestée
« AYALA » se présente comme un nom de famille et qu’il s’agit d’un usage généralisé adopté par les marques de champagne ; également qu’il s’agit d’un nom de ville Corse.
A ce titre, l’INPI indique que rien ne permet d’affirmer que le nom est courant en France et que quoiqu’il en soit, cela ne modifie pas la perception du consommateur qui ne reconnaitra pas forcément le nom patronymique ou d’une ville.
Ø Sur la différence de prix :
L’INPI relève que les produits tant de la marque contestée que de la marque antérieure s’adressent au grand public et le degré d’attention n’est pas forcément élevé sur la distinction à effectuer en fonction du prix.
Pour toutes ces raisons, la marque contestée est déclarée nulle.
2. CONTRATS
2.1 Rupture des relations
Agrofournitures : Rupture brutale des relations commerciales établies
[CA Paris, 7 janvier 2021, n°17/12796]
La société BGD Conseils, spécialisée en matière de négoce d’agrofournitures et en service aux professionnels de l’agriculture, a noué des relations commerciales avec la société Compagnie Industrielle et Commerciale (CIC), spécialisée dans le commerce de gros de produits phytosanitaires et de matériels.
Cette relation commerciale concerne l’ensemble des produits référencés ainsi qu’une prestation de stockage (contrat d’une durée de 12 mois, non renouvelable par tacite reconduction).
La relation commerciale entre les deux sociétés prend fin début 2015 à l’initiative de la CIC.
Cette dernière reprochant à BGD Conseils le défaut de règlement de factures émises, elle l’assigne en paiement.
BGD Conseils, en défense, reproche à la CIC d’avoir rompu brutalement la relation commerciale établie entre elles et sollicite sa condamnation à réparer le préjudice subi.
En première instance les juges font droit à chaque demande :
- BGD Conseils est condamnée à régulariser les factures impayées, soit 222 671, 48 €.
- La CIC l’est aussi pour rupture
brutale des relations commerciales, soit 18 562 €.
En appel, les magistrats vont avoir un autre regard sur ce litige, regard totalement défavorable à BGD Conseils.
Le comportement du négociant d’agrofournitures en retard de paiement est en effet jugé fautif.
Ce faisant, la rupture des relations par CIC ne nécessitait pas de préavis.
La Cour fait ainsi application de l’exception légale au préavis : « La rupture des relation commerciales établies peut intervenir à effet immédiat à la condition qu’elle soit justifiée par des fautes suffisamment graves imputées au partenaire commercial. »
Vente de bouteilles de vin : la rupture des relations commerciales pour sans préavis exclut toute poursuite des relations…
[CA Paris, 19 mai 2021, n°19/11133]
La société Vins Chevron Villette a réalisé des bouteilles et des BIB contenant du vin en vrac pour le compte de la société Les Vidaux qui a pour objet le commerce de vin.
Leurs relations commerciales ont débuté en juillet 2015 et ont cessé en 2017 à l’initiative de la société Les Vidaux.
Le fabricant de bouteille assigne son client sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies.
En réponse, la société Les Vidaux prétend notamment que l’arrêt des relations était dû à la mauvaise qualité des produits. Ainsi, selon elle, ces manquements étaient suffisamment graves pour justifier une résiliation sans préavis.
La Cour d’appel (confirmant ainsi la décision de première instance) constate que la société Les Vidaux a effectivement formulé des griefs à l’encontre de la société Vins Chevron Villette début 2017 et lui a notifié sa décision de cesser la fourniture de vins en bouteille. Néanmoins, le Cour relève au travers des échanges postérieurs entre les deux sociétés que les relations se sont poursuivies (aménagement du calendrier prévisionnel tel que fixé en début d’année notamment).
Ce faisant, pour cette dernière, la société Les Vidaux a gardé sa confiance en son partenaire commercial, ce qui exclut tout manquement suffisamment grave pour justifier une rupture des relations sans préavis (article L. 442-1 du Code de commerce).
La Cour en conclut par conséquent qu’un préavis de trois mois aurait dû être respecté et fixe la réparation du préjudice à 30.000 euros.
Logiciel pour machines agricoles : durée de reconduction de l’assistance non précisée, condamnation limitée !
[CA Rennes, 9 mars 2021, n°18/03397]
La société MC ELEVAGE SERVICE (devenue la MCES DUVAL SERVICES à la suite d’une prise de contrôle) exerce, sur plusieurs sites, une activité d’achats, vente, négoce, installation et réparation de machines ou équipements à usage agricole.
Dans le cadre de son activité, elle a conclu un contrat d’assistance téléphonique pour son site de COURGAINS avec la société WIN SOFT, spécialisée dans la vente de logiciels de machines à traire et de prestations aux clients.
Ce contrat a été conclu pour une durée de cinq années à compter du 17 mai 2011, renouvelable par tacite reconduction.
Arrivé à échéance en mai 2016, WIN SOFT a émis les factures correspondant à une reconduction pour une nouvelle période de cinq ans considérant que le contrat était reconduit pour la même durée qu’initialement prévue.
Considérant que certaines prestations n’étaient plus utilisées, le client refuse de régler et conteste devant le tribunal le renouvellement automatique des contrats.
Condamné par le tribunal à régler la facture, ce dernier relève appel de la décision considérant notamment que WIN SOFT ne démontre pas que le contrat s’est effectivement reconduit pour cinq ans et qu’il est en cours.
La Cour d’appel va lui donner partiellement raison.
Pour ce faire, cette dernière constate que la tacite reconduction du contrat du 17 mai 2011 est prévue au contrat tout comme la
« possibilité de dénonciation à chaque anniversaire une fois la première reconduction opérée à l’issue du délai de cinq années
initial ». Or ici, la durée de la reconduction n’était pas prévue.
Ce faisant, le prestataire ne pouvait comme il l’a fait facturer cinq nouvelles années de relation.
Étonnamment, la Cour considère que le contrat s’est reconduit pour une année et condamne la MCES DUVAS SERVICES à payer la somme correspondante.
Rien dans les faits ne permet d’expliquer cette solution.
Rappelons en effet que toute reconduction d’un contrat sans précision d’une durée a pour conséquence une poursuite des relations à durée indéterminée (jurisprudence constante et, depuis 2016, article 1215 du Code civil).
La rupture y afférente nécessite donc le respect d’un préavis raisonnable dont la Cour aurait dû déterminer précisément la durée afin de définir le préjudice subi.
2.2 Responsabilité
Bouteilles non viciées, factures à payer !
[CA Aix-en-Provence, 3 juin 2021, n°19/02756]
La SCEA Château Clinet, producteur du vin d’appellation Pomerol, a commandé à la SAS Bruni Glass France des bouteilles fabriquées par la société Sklarny Moravia.
Au moment de la mise en bouteille de son Millésime 2013, la SCEA Château Clinet constate une odeur et un goût anormal provenant de l’eau de rinçage prélevée dans les bouteilles.
Pour cette raison, cette dernière met rapidement un terme à la relation commerciale, fait opposition au règlement des factures et met en demeure la SAS Bruni Glass France de l’indemniser du préjudice subi.
Face à leur contestation, la SCEA Château Clinet assigne ces deux sociétés en garantie des vices cachés, aux fins de voir indemniser son préjudice.
Déboutée en première instance, la SCEA Château Clinet forme appel du jugement.
Se fondant sur deux analyses amiables concordantes concluant à l’absence de pollution des bouteilles vendues ainsi que du vin contenu dans ces bouteilles, la Cour d’appel rejette cette demande dès lors que « l’action en garantie des vices cachés suppose la démonstration de l’existence d’un vice, antérieur à la vente, rendant les bouteilles impropres à leur usage de contenant d’un vin de Pomerol millésime 2013 ».
Preuve que le producteur n’apportait pas.
Ce faisant, la Cour confirme le jugement de première instance et condamne la SCEA Château Clinet au paiement des factures restant dues et écarte ses demandes d’indemnisation.
Responsabilité du metteur en bouteille et du bouchonnier : 50/50 !
[CA Montpellier, 2 juin 2021, n°18/04396]
La EARL La Prade a confié la mise en bouteille de ses vins à la société Mendoza ; les bouchons provenant de la société Catalane du Liège (SOCALI) étant livrés directement à la société Mendoza.
Peu après le début des opérations, des dépôts ou poussières apparaissent dans les bouteilles de vin.
Une expertise est ordonnée en référé afin d’en rechercher la cause.
La société La Prade assigne ses deux prestataires. En première instance, ils sont désignés tous deux responsables à 50% chacun.
SOCALI et Mendoza forment donc appel de ce jugement, chacune renvoyant la faute sur l’autre ou sur la société La Prade.
Pour la société Mendoza, les désordres trouvent leur origine dans la fragilité des bouchons vendus par la société SOCALI. Or, il incombait la société La Prade, en sa qualité de professionnel, de lui livrer des produits conformes.
Pour la société SOCALI, la société La Prade ne démontre pas en quoi les bouchons n’étaient pas conformes à la commande et surtout, selon elle, la fragilité des bouchons pourrait être dues à l’étape de l’embouteillage, ce que l’expert n’a pas vérifié.
La Cour d’appel écarte ces arguments.
Pour ce faire, cette dernière se fonde sur l’expertise retenant que la présence de particule dans le vin peut provenir tant des machines utilisées par la société Mendoza que des bouchons livrés par la société SOCALI.
Ce faisant, cette dernière a manqué à son obligation de délivrance d’un produit conforme et la première à son obligation d’assurer une prestation de qualité réalisée dans les règles de l’art.
Par ailleurs, le prestataire ne peut tenter de se dédouaner d’une partie de sa responsabilité par le fait que la société La Prade aurait dû justifier de la conformité des bouchons de liège.
En effet, ces bouchons ne transitaient pas par la société La Prade mais étaient directement livrés à la société Mendoza. Seule la société SOCALI était responsable à ce moment de la conformité de la qualité des bouchons pour la mise en bouteille.
En conclusion, bouchonnier et prestataire sont responsables à 50/50.
Aymeric LOUVET
Avocat - Gérant
Stessie PRIVAT
Avocat collaborateur
KLYB AVOCATS
1401, Av. du modial 98
Imm. Oxygène Bât. B
34 000 MONTPELLIER